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La carte géologique de la France au 1:50 000


L'une de ces séries fondamentales qu'on ne sait pas toujours par quel bout prendre...

Commençons par répondre à Qu'est-ce qu'une carte géologique ?

Là, vous avez une explication en vers, d'après la célèbre tirade du nez, de Cyrano. Ici, une définition scientifique extraite de ce dossier Géochronique de 2005 : Une carte géologique est la représentation conventionnelle, sur un fond topographique, des terrains visibles à l’affleurement ou masqués par des formations superficielles.

Rien ne valant une illustration, voici la présentation en images de la Carte géologique de France au 1:50 000. Ou, plus détaillé, le Guide de lecture des cartes géologiques de la France.

A quoi sert donc une carte géologique, en dehors de décorer un mur ou d'encombrer les tiroirs des cartothèques ? Réponse du guide :
Sans que l'on s'en rende compte, la géologie conditionne notre vie de tous les jours : Où trouver de l'eau et pour partie notre nourriture (on ne peut cultiver tout n'importe où) ? Comment aménager le territoire sans oublier les risques naturels (éboulement, séisme) ? Où se procurer les substances utiles, les minerais, l'énergie dont nous avons besoin...

Un échantillon ? Voici la feuille d'Allos, consultable sur le site de CartoMundi.

Comme pour toute carte, rappelons que la carte géologique n'est pas un document objectif mais le résultat d’un mélange entre des observations et des interprétations à une date donnée. D'où découle ce constat de 2005, tiré du dossier Géochronique :
Les 1060 feuilles de la Carte constitue une mosaïque hétérogène. Le Comité de la Carte Géologique de France, après examen critique des cartes publiées a identifié environ 400 cartes qui nécessiteront une révision en tout ou partie (substratum et/ou formations superficielles).

A 35 euros la feuille, ça fait râler... Mais comme le sous-sol ne change pas tous les quatre matins, la carte conserve longtemps son utilité pratique, malgré ses quelques défauts.

Pourquoi une mosaïque ? Deux raisons.
D'abord, la Carte géologique est une série. Les 1060 feuilles permettent de couvrir toute la France métropolitaine. Pour s'y retrouver, il faut se reporter au tableau d'assemblage*.En disposant toutes les feuilles côte à côte, avec toutes leurs nuances de couleur, on aurait bien l'impression d'une mosaïque.
* Si ce tableau de 2021 n'est plus disponible, cherchez l'information mise à jour sur le site du BRGM.

Secundo, l'élaboration des feuilles s'est étalée dans le temps. La formation des géologues, les connaissances, la technique ont évolué. Les terrains correspondant aux feuilles sont de nature variée, du très complexe (Pyrénées) au plus simple (Bassin parisien). Malgré les règles communes, les feuilles peuvent avoir des aspects particuliers et deux éditions d'une même feuille présenter une figure très différente.

La création d'une feuille géologique ne se fait pas en un jour

On retrouve quelques traces de cette longue élaboration sur la carte.

* Les géologues partent d'un fond topographique. On lit cette information sur la carte, reportée dans la zone des notes sur la notice cataloguée :
Fond topographique IGN. Carte de base : Carte topographique de la France à 1:50 000 (Type 1922), feuille XXIV-5.
Fond topographique IGN. Carte de base : Carte de France à 1/50 000, feuille 1340

Autre indication : le numéro noté en haut et à droite. Flle XXXV-40 sur la feuille d'Allos est le numéro de la feuille topographique au 1:50 000.

* Puis il y a collecte des informations sur l'espace à cartographier (source : dossier Géochronique).
On commence par procéder à une étude bibliographique régionale et au recensement de toutes les données existantes, à commencer bien entendu par les cartes géologiques antérieures, mais également les sondages dont l’archivage, organisé par la Banque de données du sous-sol du BRGM, est accessible à tous. Ensuite, on analyse les photos aériennes et les images satellitaires de la zone à cartographier, ce qui permet une première approche [...].
Le lever proprement dit consiste en l’exploration systématique, km2 par km2, de la région à cartographier.


Toutes les observations sont reportées sur la carte topographique, qui devient alors une « minute ». Les données de la minute sont ensuite interprétées et généralisées pour donner naissance à la carte.

Qui est ce « on » lancé dans la réalisation d'une feuille ?

Rarement un seul géologue même si le cas pouvait se présenter dans les débuts. Les noms des auteurs principaux et de leurs collaborateurs sont indiqués sur la feuille géologique et sont reportés dans la notice de catalogage.

- 2014 : Les tracés géologiques ont été réalisés de 1978 à 2010 par Marc Calvet, Albert Autran, Michel Wiazemsky, Bernard Laumonier, Gérard Guitard ; Ministère de l'industrie, Service géologique national
- 1967 : les explorations et les tracés géologiques ont été faits de 1963 à 1964 par Ch. Pomerol,... ; en collaboration avec Cl. Cavelier,... A. Blondeau,... Cl. Afchain,... [et al.]
- 1958 : les explorations et les tracés géologiques ont été faits de 1950 à 1954 par L. Feugueur ; Service de la carte géologique de la France


La trace de leur exploration de terrain se retrouve aussi sur la feuille. Ainsi, sur Allos, on lit : les explorations et les levers géologiques ont été faits de 1948 à 1958 par Mme Y. Gubler. Puis sont indiqués les collaborateurs dont G. Verrier, pour le vallon de Gialorgues.

Ces informations sont abrégées sur la notice du Sudoc : Carte géologique détaillée de la France [au 1/50 000]. [919], Allos / les explorations et les levers géologiques ont été faits de 1948 à 1958 par Mme Y. Gubler,... avec la collaboration de MM. F. Héritier, J.M. Schlund...G. Verrier... [et al.] ; Ministère de l'industrie, service de la carte géologique de la France.

La minute est mentionnée sur la feuille mais pas sur la notice de catalogage: Coordination des contours et dessin de la minute par Mme Y. Gubler.


Pour mieux vous représenter le travail de terrain, voici une photo du vallon de Gialorgues dans le Mercantour.

L'indispensable notice explicative

La carte s'accompagne toujours d'une notice explicative. Elle constitue le complément indispensable de la carte géologique apportant à chacun, dans la limite des connaissances acquises, les informations dont il a besoin. Très complète, notamment pour les cartes récentes, elle s'adresse autant aux curieux de la nature qu'aux divers spécialistes de la géologie. [extrait du guide de lecture]

Cette notice explicative devient de plus en plus épaisse au fil du temps, et pas seulement parce que les dernières publications concernent des terrains complexes. Son épaisseur reflète l'abondance d'informations révélées par les moyens de plus en plus puissants mis à disposition des équipes de géologues.

Cette évolution apparaît nettement dans les notices de catalogage du Sudoc.
1955 : Notice explicative sur la carte
1967 : Accompagnée par la notice explicative "Senlis, XXIV-12"
1992 : Accompagnée par : "Notice explicative de la feuille Mimizan à 1/50 000 / pa G. Karnay.-Ed du BRGM, 1992" Bibliogr. p. 40-43 de la notice
2014 : Accompagnée par : Notice explicative de la feuille Argelès-sur-Mer, Cerbère à 1/50 000 / par B. Laumonier, M. Calvet, P. Barbey, P. Guennoc, J. Lambert, J-L Lenoble, M. Wiazemsky ; avec la collaboration de A. Autran, A. Cocherie, P. Rossi. Bibliogr. p. 113-131 de la notice

La notice d'Aiguilles, publiée en 2004, fait 150 pages...

Quels sont ces « moyens plus puissants » peu à peu apparus ? Les images satellitaires, le dessin industriel informatique, le traitement des signaux géophysiques (sismique, gravimétrie, etc.), les ordinateurs portables emportés sur le terrain et couplés au GPS, la constitution de bases de données scientifiques et leur accès à distance, les SIG et jusqu'à la numérisation des feuilles déjà éditées et leur insertion dans les données mises à disposition par le BRGM. Cette abondance contraint les géologues à éliminer ou condenser un grand nombre d'informations collectées.

Ici, le cartothécaire à l’œil acéré a sursauté. Comment ça, une « numérisation des feuilles déjà éditées » ? Eh oui, toutes les feuilles papier ont été scannées par le BRGM et sont consultables sur Infoterre en suivant attentivement les indications données ici. Mais il manque l'emprise et d'autres éléments disponibles sur la feuille : une légende non pas générique comme pour la carte topographique mais propre à chaque feuille, des coupes stratigraphiques. Sur Allos, un plan de position d'un élément géologique particulier.

La feuille géologique papier et sa notice explicative forment un ensemble très complet.

Un long cheminement à travers l'histoire

Cet ensemble n'a pas été conçu d'un coup ; il est le fruit d'un long cheminement à travers l'histoire.

L'article Les premières cartes géologiques en France : projets et réalisations, rédigé en 1982 par François Ellenberge vous en dira plus. En résumé, retenons trois grandes dates :
En 1822, le Ministère des Travaux Publics décide qu'une carte géologique de la France doit être levée à l'échelle du 1/500.000. Elle sera l’œuvre de deux jeunes ingénieurs des Mines, Elie de Beaumont et Dufrénoy, qui sont d'abord envoyés en Angleterre y parfaire leur connaissance de l'anglais mais surtout celle des terrains secondaires. La carte paraîtra en 1841, très belle réalisation en six feuilles.
En 1868, c'est la Carte géologique de la France à l'échelle du 1/80.000 qui est mise en chantier par les directeurs (géologues) successifs du « Service de la carte géologique de la France et des topographies souterraines ».
Dès 1924 est conçue la carte géologique de la France au 1 :50 000 à partir du fond topographique détaillé avec courbes de niveaux de la carte d’état-major.
En 1968, le Service de la carte géologique et le BRGM sont regroupés. 148 cartes géologiques au 1 :50 000 (sur les 1060 du tableau d'assemblage) sont déjà éditées.

Le savez-vous ? La série n'est pas achevée... En 2020, 12 feuilles sont encore à paraître.

François Elleberger observe que l'histoire de la carte géologique n'en est qu'à ses débuts. Une chose du moins est sûre, c'est que beaucoup reste à faire dans l'histoire de la cartographie géologique. Le présent essai n'a fait qu'effleurer un sujet où la collaboration de géologues et d'historiens de métier est particulièrement nécessaire.

et qu'il y aurait un beau travail de recherche et d'archivage à faire sur les anciennes cartes.
Remarquons aussi le fait que de nos jours comme dans le passé, les cartes géologiques dont le tirage est épuisé, tout en restant souvent d'irremplaçables documents, constituent un réel problème bibliographique, non pas seulement pour l'historien, mais pour le chercheur et l'enseignant.
Il serait au plus haut point désirable que la communauté mondiale des historiens de la Géologie entreprenne la réédition méthodique en fac-simile au minimum de toutes les cartes à caractère géologique antérieures à 1830 (pour commencer). Voir certaines de ses yeux est presque un exploit.


Conclusion

En conclusion, la Carte géologique au 1:50 000 est un bon exemple de série très utile à analyser. Elle est simple sans être d'une structure rigoureuse puisque il y a eu des changements dans le format, la numérotation, les isbn etc. Même son utilité a évolué avec la version numérique puis la création d'une base de données.
Cette série écrit une page d'histoire de la cartographie française. Soulève des problème d'archivage et de mise à disposition des cartes anciennes. Elle est aussi propice à une réflexion commune entre cartothécaires, notamment sur certains points de catalogage.

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Annexes

La liste des feuilles géologiques, par région, en pdf
Admirable carte d'un pays raffiné : à la recherche d'une mystérieuse carte admirée par la délégation japonaise de 1872

2022