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Mise en valeur d'une cartothèque : la découper en multiples fonds particuliers. Une réflexion de la cartothèque de Paris 8



On peut facilement subdiviser le fonds général d'une cartothèque en multiples fonds particuliers ou collections. Et d'abord parce qu'une cartothèque ne comprend pas seulement des documents cartographiques. Il peut exister un fonds d'ouvrages, de périodiques, de photographies, de transparents etc. Les supports : cédéroms, DVD, diapositives... sont aussi des critères de subdivision. Le support peut effacer la délimitation cartes / non-cartes : des cédéroms de cartes numérisées constituent par exemple un fonds spécifique. A l'intérieur des documents cartographiques, il est possible de séparer les atlas des cartes papier et celles-ci des cartes numérisées. Parmi les cartes, on peut aussi distinguer entre les séries et les monographies, entre les petites séries et les grandes, entre les séries très utilisées et les dormantes. Toutes ces délimitations sont propres à chaque cartothèque et celle-ci en a plus ou moins conscience.


Prendre l'initiative de présenter aux lecteurs le détail de ces collections particulières est un exercice très instructif. Il permet déjà de singulariser les collections de manière plus précise que par la seule habitude. On se rend compte rapidement de la richesse du fonds tout en se donnant les moyens de l'appréhender de manière plus rationnelle. Par exemple, vous avez des boîtes de diapositives entreposées dans une armoire, des piles de cartes récupérées d'un don et stockées au plus loin, de vieux atlas encombrants perchés sur des étagères : si vous décidez de les regarder droit dans les yeux plutôt que d'effacer leur présence, vous constaterez qu'ils sont une réalité et une richesse. Ils appartiennent à l'histoire de la cartothèque, sont arrivés à une certaine date, dans un certain contexte, monopolisent des espaces de stockage, nécessitent un certain type de manipulation, possèdent une valeur intellectuelle ou documentaire à découvrir et à estimer. Même si un examen plus poussé conduit à les donner ou même à les pilonner, cet examen, les démarches qui l'ont suivi, l'inertie qui l'a précédé appartiennent à la vie de la cartothèque, à son déroulement dans le temps. En décrivant une collection dans toutes ses particularités, vous ouvrez ou maintenez ouverte une réflexion sur ce qu'est une cartothèque, l'évolution de ses missions, de ses publics, de ses personnels.

Cette évolution saute aux yeux lorsque ces collections sont décrites au public, quelle que soit la forme de cette description : présentation sur le site internet, sur les réseaux sociaux, événements ponctuels comme une exposition, une sélection thématique, des messages aux lecteurs, des articles, des rapports à l'administration etc. En effet, à reprendre cette description quelque temps plus tard, vous devrez la mettre à jour. Elle a pu changer (un support obsolète, un désintérêt intellectuel, un déplacement, une réorganisation ; les raisons sont nombreuses) et même si elle est restée inchangée, vous ne pouvez pas simplement copier-coller la précédente description. C'est l'occasion d'affiner, de développer un autre aspect de la collection, par exemple l'histoire cartographique d'une série, les circonstances qui ont mené à l'entrée d'un fonds dans la cartothèque, la possibilité d'une mise en valeur, l'élaboration d'un plan de développement partagé avec d'autres cartothèques, la recherche de son intérêt intellectuel ou pédagogique en consultant des enseignants, des chercheurs, l'adaptation aux outils technologiques pour la faire connaître aux usagers, aux étudiants etc.


Ainsi, la cartothèque de Paris 8 a entrepris il y a très longtemps de développer une rubrique Présentation des collections sur son site internet. Les descriptions se sont accumulées, superficielles ou plus approfondies, ponctuelles ou à long terme, mêlant les documents, les supports, sans souci de leur importance, selon l'inspiration du moment ou par nécessité. Le temps manque, éternelle complainte des cartothécaires ! Cependant, il est toujours plus aisé de mettre à jour que de créer ex-nihilo et qui plus est, reprendre les descriptions, en créer d'autres dans ce même élan contribue à s'approprier la cartothèque : on se familiarise avec son histoire, on la maintient vivante et on prend appui sur elle pour décider en partie son avenir. En choisissant de s'occuper sérieusement de telle collection, ou de la délaisser, ou de la laisser suivre son cours, on donne forme dans le présent à la cartothèque. En résumé, on s'intéresse au temps et pas seulement aux espaces.




Deux exemples pour illustrer cette réflexion. Le support DVD rassemble plusieurs collections dont celle des documentaires et films touchant à la géographie. Le DVD est en train de devenir obsolète mais le fonds de DVD documentaires conserve une valeur historique : celle des films, celle de la constitution de ce fonds. Ces DVD avaient fait l'objet d'une présentation sur le site internet. En la mettant à jour (sans effacer la version précédente), on obtient un récit intéressant pour la cartothèque.

La Carte de Cassini est un grand classique des cartothèques. Certaines conservent des feuilles originales, d'autres des reprographies en taille douce ou en offset, d'autres encore des photocopies couleur ou noir et blanc. Rédiger une présentation de cette série est assez simple. Elle devient alors une subdivision parmi les cartes, une sous-collection avec sa localisation, son intérêt pédagogique, ses feuilles manquantes... Elle ouvre des réflexions : par exemple pourquoi avoir commandé des reproductions à une époque et cessé plus tard ? Doit-on compléter cette collection ? Ces feuilles sont-elles utilisées dans les cours de cartographie ? Pourquoi non ?
La diffusion de cette présentation vers les enseignants permet de partager cette réflexion avec eux. En incluant les étudiants de géographie ou d'autres disciplines, on peut les inciter à se rendre à la cartothèque en leur présentant physiquement quelques feuilles, ou leur faire découvrir les feuilles numérisées sur Gallica, etc.

A la cartothèque de Paris 8, nous sommes allées plus loin en accrochant certaines descriptions aux notices du catalogue. Ainsi toute notice appartenant à la Carte topographique de la France au 1:25 000 possède une annexe, c'est-à-dire un lien qui ouvre une page du site avec la description de cette série.

D'autres annexes existent
la carte de la végétation de la France au 1:200 000
le 50e topographique (la série orange)
le 50e géologique
la carte de Cassini
la carte murale, etc.

Le premier critère est la capacité à isoler informatiquement ces notices, le second l'intérêt intellectuel de cette présentation.


En conclusion, prendre le temps de fouiller et d'examiner ses collections, toutes ses collections, crée un autre rapport au temps et par suite, à la cartothèque. Alors elle n'est plus un espace dont rendre compte à sa hiérarchie en complétant des indices chiffrés décidés ailleurs, dans une perspective d'adaptation perpétuelle aux toujours nouvelles techniques de gestion des lieux documentaires, aux toujours innovantes technologies à mettre en oeuvre pour prouver son appartenance à la modernité. Ce changement de perception est heureux car dans la perspective précédente, les cartothèques et leur masse de collections papier sont condamnées à court terme. La cartothèque occupe l'espace et le temps. Le cartothécaire est aussi celui qui met en récit cette occupation de l'espace et du temps.

2022