Journal de la Carto

1er avril 2012

Info lecteur

Le Projet Albédo

    Oxyrhynchus, cela ne vous dit rien ? Des documents administratifs ont été découverts dans cette petite ville des bords du Nil. Certificats de propriété ou de mariage, livres de philosophie ou de poésie, ils ont mille ans et pour les déchiffrer, l'université d'Oxford les a numérisés et mis à disposition du public. Des amateurs les retranscrivent, caractère par caractère.

    Des projets comme celui-ci, il en existe dans tous les domaines. Leur caractéristique principal est la masse de données à traiter qui nécessite la participation du plus grand nombre. Quelques exemples :
    Classer des galaxies selon leur forme à partir de clichés / manipuler des protéines pour obtenir le volume le plus réduit possible / recenser des papillons ou des chauves souris près de chez vous / récolter les informations météorologiques dans les carnets de bord de la Navy.
    Il y en a beaucoup d'autres. La science ne se contente donc plus de faire appel à votre ordinateur, elle a besoin de votre cerveau.

    Toujours enclin à tirer parti des innovations proposées par la révolution numérique, le département de géographie de Paris 8 a sauté sur l'occasion pour participer à un projet ambitieux et novateur (autant que celui d'avril 2011 présenté dans ce même journal). Son sujet : l'albédo. Ca commence mal me direz-vous. Certes moins glamour que le comptage des chenilles laineuses ou la recherche de la tombe de Gengis Khan, le projet albédo va cependant vous plaire. Et parce que nous avons réagi comme vous, nous allons laisser la parole à celle qui a su nous convaincre, Maria Dolomie.

    Petit bout de femme de 35 ans, aux gestes vifs, cette titulaire d'un MBA Management obtenu après un riche parcours professionnel est une militante dévouée à la cause de l'écologie, une militante branchée, au portable vissé à l'oreille, dont les talons claquent tandis qu'elle se hâte vers notre lieu de rendez-vous. Propos pleins d'énergie recueillis autour de deux bionades au litchi, dans la belle buvette de la Gaîté lyrique.

    Ecologie, albédo, projet participatif, si vous nous expliquiez, Maria ?
    L'écologie est l'affaire de tous, oui ? Or, où il y a des problèmes, il y a aussi des solutions qui sont l'affaire de tous là encore et non d'une poignée de décideurs assistés d'une poignée de scientifiques. Je veux impliquer les gens, toi, eux, tout le monde. Eux, ce sont les buveurs de boissons bio assis aux tables de la buvette. Maria éponge délicatement le jus au litchi répandu par son geste.

    Et l'albédo ?
    On y vient. Dans l'écologie, parmi de nombreux problèmes, tu as le réchauffement climatique. Moi, je m'intéresse à celui des grandes villes. Dans les périodes de canicule, comme on l'a vu en 2003 à Paris, on arrive à la création d'îlots de chaleur urbaine. La température est parfois de 5 à 10° plus élevée dans la ville que dans ses environs et la nuit ne permet pas son refroidissement. En quoi c'est grave ? L'excès de chaleur et la pollution accrue qu'elle entraîne, peuvent être mortels pour les personnes les plus fragiles. Un problème, des solutions et le projet albédo est en une. Maria fouille dans son grand sac et en sort une feuille blanche qu'elle pose sur la table, à distance de la flaque de litchi.

    Cette feuille est blanche. Pourquoi ? La lumière du soleil la frappe et en retour, la feuille réfléchit plus de 80% de cette lumière. Je prends ce foulard, tu le vois noir parce qu'il absorbe presque toute la lumière. 0 correspond à l'absorption complète de la lumière soit le noir absolu et 1 à sa réflexion totale, à la manière d'un miroir. Entre 0 et 1, tu as une valeur qui est l'albédo de chaque objet liquide ou solide. On le calcule en divisant la quantité de lumière réfléchie par la quantité de lumière reçue. La neige fraîche a un albédo de 0,90, la lave de 0,004. Compris ?

    Je pense. Et l'albédo est fixe et toutes les bionades au litchi ont le même ?
    En gros, c'est exact. La lumière est aussi chaleur. Conséquence : la surface à faible albédo est plus chaude car elle absorbe plus de lumière. Maintenant, prenons la Terre. La banquise a un albédo de presque 1, elle fond à cause du réchauffement climatique, sa surface diminue, la lumière renvoyée diminue d'autant. L'océan qui a un albédo très faible absorbe cette lumière qui est aussi chaleur, la chaleur absorbée accroît la fonte de la glace et précipite le mouvement. Tu prends cette situation sur laquelle les individus ont peu de poids car c'est trop loin, trop vaste, trop complexe, et tu la transposes ici, dans ta ville. Un problème, des solutions et certaines sont à notre portée.

    Le projet albédo en est une.
    Le projet albédo est un projet scientifique mais il est aussi et pour moi c'est le plus important, un projet qui implique chacun. Son but : mesurer très précisément et très localement les variations de température dans une zone urbaine déterminée. Maria a tiré un stylo de son sac et sur la feuille trace un quadrillage dans un grand cercle qu'elle tapote. Une portion de ville. Disons que tu survoles ces rues, est-ce que tu as conscience de leur albédo ?

    Ca dépend. A Paris, les toits sont souvent en zinc, le revêtement des chaussées est sombre, l'albédo sera proche de 0. Mais pour les façades, claires, il sera plus élevé, non ?

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