Journal de la Carto - Septembre-Octobre 2016
Pour résister à cette déconcentration voulue et permanente, il faut posséder une bonne capacité de lecture donnée par l'éducation au livre papier, ce qui suppose d'être né au temps des dinosaures (avant Internet). Cette capacité d'attention est de plus en plus rare. L'auteur de L'Assassinat des livres cite de bons lecteurs qui ont perdu la capacité de lire des longs textes après un usage intensif de la lecture sur écran.

Mon attention se relâche dès la deuxième ou troisième page. Je m'agite, perd le fil, cherche déjà autre chose à faire. Comme si je m'évertuais à ramener sans cesse mon esprit récalcitrant au texte. La lecture en profondeur qui m'était naturelle est devenue une lutte. Nicholas Carr, éditorialiste

Je ne peux plus lire Guerre et Paix. j'en suis incapable. Même un post de blog au-delà de trois ou quatre paragraphes est trop indigeste : je le lis en diagonale. Bruce Friedman, blogueur


Site de l'auteur - Livre disponible à la BU, salle rouge, cote : 070.3 CARR
On appelle ça le trouble du déficit d'attention. Et les conséquences se font sentir en dehors de l'écran : le cerveau habitué à être sans cesse sollicité cherche en permanence des distractions. En cours, les étudiants remuent, parlent, tripotent leur téléphone portable ? Trouble du déficit d'attention. L'enseignant s'agite, arpente la salle et lorgne nerveusement sur son portable ? Trouble du déficit d'attention.

Le livre devient un simple texte fragmenté dans lequel le lecteur pioche selon ses envies de l'instant. En fin de parcours, il a collationné une juxtaposition de fragments qui ne possèdent plus aucun lien logique entre eux. Songez au nombre de sollicitations qui vous assaillent là tout de suite pendant que vous parcourez cet article. Vous êtes épargné par les publicités et les vidéos et les liens sont peu nombreux. Cependant votre ordinateur vous signale l'arrivée de mels, news et autres rss et n'avez-vous pas une vidéo en cours parmi tous vos applications et onglets ouverts ? Votre téléphone n'a-t-il pas vibré ? Vérifiez...

L'objectif n'est plus de s'approprier la pensée d'un auteur mais de rechercher des informations utiles. Ainsi parle un brillant étudiant de philosophie américain en 2008 : Je ne lis pas de livres. Je vais sur Google où je peux absorber rapidement les informations pertinentes.
Toute ressemblance avec une machine : vitesse, efficacité, assimilation des données n'est pas fortuite...

Plus on lit sur écran, moins on supporte de lire des textes papier du début à la fin. Quel effort ! Quelle solitude ! Et le monde qui tourne sans moi pendant ce temps !
Malheureusement, accéder à une information n'implique pas d'en faire une connaissance : encore faut-il la lire puis la comprendre. Or la compréhension exige un apprentissage souvent laborieux. Et quelle faculté est indispensable à l'apprentissage ? L'attention, qui est la cible des sollicitations du marché.
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Cartothèque de l'Université Paris 8