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Témoignages de terrain - France - La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires de Christophe Guilluy - suite et fin



Le franc-parler de Guilluy dans l'entretien Les élites sont obnubilées par les métropoles – Christophe Guilluy, géographe donné à Hugo Soutra, Jean-Baptiste Forray pour la Gazette des communes est à mettre en relation avec les deux précédentes critiques.

La sociologie des grandes métropoles – composée des catégories supérieures et des classes populaires immigrées, bénéficiant de l’ouverture des marchés et/ou des frontières – forme une telle majorité politique qu’un Alain Juppé à Bordeaux met en place les mêmes politiques publiques qu’un Gérard Collomb à Lyon. Aux municipales, les candidats de gauche ou de droite s’étripent uniquement sur la vitesse des bus dans les couloirs dédiés, le rallongement de quelques kilomètres de pistes cyclables, ou s’il faut 20 ou 22% de logements sociaux. Rien n’est fait pour intégrer l’ensemble des classes populaires. Le consensus sur les logiques de marché interdit tout contre-projet.

ou encore
[La mise en place de la politique de la ville dans les années 80] intervient également au moment où le Parti socialiste opère un virage libéral et abandonne la question sociale pour adopter une grille anglo-saxonne, plus sociétale : la politique de la ville a été un moyen de travailler sur la question ethnique sans l’affirmer officiellement, afin de ne pas renoncer à l’idéal républicain…
Aux yeux des prescripteurs d’opinion vivant majoritairement dans les métropoles, les catégories populaires se sont résumées, depuis trente ans, aux seules minorités ethniques peuplant les banlieues proches des métropoles. Exit les précaires des campagnes de la Nièvre, où l’on croise pourtant aussi peu de grands bourgeois mais qui sont considérés de facto comme « inclus » car Blancs.
Élus, chercheurs et journalistes, tous ont alors posé un regard larmoyant sur ces quartiers d’immigrés et de Français enfants d’immigrés. Sans s’apercevoir que ces territoires sont, non pas des ghettos, mais au contraire, des « sas » où les populations d’aujourd’hui ne sont ni celles d’hier, ni celles de demain.


Même franc-parler dans La France périphérique ou comment, avec l'aide du PS et de l'UMP, le FN en est arrivé là, sur Atlantico (en accès payant)

Le bobo parisien qui contourne la carte scolaire est exactement dans la même logique que l'électeur qui vote FN. Les deux veulent une frontière symbolique avec l'autre. D'un côté, vous avez le bobo qui a les moyens de la frontière invisible — qui peut contourner la carte scolaire et vivre dans un immeuble à peu près homogène socialement, y compris dans des quartiers multiculturels. C'est le type "Je vis dans un quartier multiculturel, dans un loft à 1 million d'euros avec des voisins qui me ressemblent et mes enfants qui ne vont pas au collège du coin". Le multiculturel comme ça, c'est très sympathique... Inversement, le chômeur à Hénin-Beaumont ou ailleurs, sait, lui, que la cohabitation, si cohabitation il doit y avoir (car le cas est vrai dans des villages où il n'y a pas d'immigration), lui sera imposée. Si une famille rom ou tchétchène vient habiter à côté de chez lui, le type n'a aucune marge de manœuvre. Il sera obligé de rester là, de scolariser ses enfants au collège du coin, il n'a pas le choix.


D'après ce tour d'horizon, il semble que ce livre soit jugé provoquant parce que Guilluy crée un lien entre géographie et vote extrême comme Lacoste avait tiré un trait entre géographie et guerre. La cartographie de la France périphérique dessinée par le géographe recoupe en effet la cartographie électorale du FN. Comme la géographie sert aussi à aménager le territoire, cette ségrégation spatiale, économique, sociale et culturelle remet en cause les politiques gouvernementales et plus particulièrement celles de la gauche.

La tonalité des principales critiques est bien résumée par cette formule de Libération citée plus haut : Guilluy, le Onfray de la géographie prend un certain plaisir, comme le philosophe de Caen, à aborder les sujets qui fâchent.
Ce "certain plaisir" évoque irrésistiblement celui du marquis de Sade plongeant sa Justine dans des malheurs (les sujets qui fâchent) qui mettent à mal son idéal de vertu.

En conclusion, il est heureux de constater que la géographie reste un outil capable de provoquer l'Idéologiquement Correct et de susciter des débats.
A vous désormais de vous faire votre propre opinion en lisant ce livre.

Il est à la BU : salle rouge, 316.343.3 GUIL

A compléter avec
Atlas des inégalités : Les Francais face à la crise de Hervé Le Bras, Autrement, 2014. Cote 238
Christophe Guilluy et Christophe Noyé, Atlas des nouvelles fractures sociales en France. Les classes moyennes face à la mondialisation : la tentation du repli, Autrement, Paris, 2006. Cote 239
Fractures françaises : pour une nouvelle géographie sociale / Christophe Guilluy .- F. Bourin, 2010. A la BU, salle rouge, cote 316.3(44) GUI
Le documentaire inspiré par les travaux de C. Guilluy et Christophe Noyé : La France en face de Jean-Robert Viallet .- Yami 2 productions, 2013.

Novembre 2014