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Rencontre avec Etienne Monin, enseignant ATER en géographie à Paris 8
Parlez-nous de votre cursus.
J’ai reçu une formation initiale d’ingénieur agronome à l’École nationale supérieure agronomique de Montpellier – devenue Supagro Montpellier - entre 2001 et 2005. Pour cela j’ai intégré après le bac une classe préparatoire « BCPST » (biologie, chimie, physique et sciences de la terre) qui prépare au concours d’entrée dans les écoles d’agronomie.
J’ai travaillé quelques années dans l’agriculture biologique en Île-de-France, avant de décider de reprendre mes études, par la réalisation en 2008-2009 d’un master 2 recherche en géographie à Paris 1, mention Géographie des pays émergents et en développement. J’ai poursuivi en thèse de doctorat à Paris 1, de 2009 à 2015. Dans ma thèse, j’ai étudié les recompositions agricoles dans les périphéries de Shanghai, dans l’interaction avec le développement métropolitain. J’ai finalement soutenu ma thèse fin 2015, avant de rejoindre l’Université Paris 8 en tant qu’ATER en géographie au deuxième semestre 2015-2016.
Pourquoi avoir choisi la géographie rurale ?
Plus jeune, j’étais surtout intéressé par les questions d’environnement, dans une optique « naturaliste » : comprendre les écosystèmes naturels, étudier la biodiversité. Durant mes études d’agronome, j’ai souhaité aller vers un engagement plus concret, plus politique aussi, en faveur de la préservation de l’environnement. Dans les activités agricoles, la relation entre l’homme et son milieu est primordiale, et les pratiques que nous avons ont des répercussions très importantes. Je suis venu à la géographie rurale lorsque mes préoccupations sont devenues plus sociales car notre interaction avec la nature découle de notre organisation sociale, comment nous pensons et vivons collectivement notre « développement ». C’est par l’agriculture que je suis « entré » en géographie rurale, mais trois autres raisons m’ont poussé : les problèmes que posent l’urbanisation dans le monde, une curiosité pour la Chine et la volonté d’aborder ces questions par les sciences humaines.
Repiquage du riz mécanisé Source
Quelles difficultés dans votre poste d'ATER ?
J’ai intégré l’université Paris 8 cette année sans y avoir jamais mis les pieds. Le temps d’adaptation a été très court. Après mes années de recherche, sur un sujet très spécifique, le fait d’enseigner en Licence 1 et 2 a représenté un défi pédagogique. J’étais heureux de mobiliser mes connaissances, ce n’était pas toujours facile de les communiquer simplement. Vis-à-vis de ces apprentissages, j’ai trouvé que les étudiants de ma classe étaient très hétérogènes, dans leurs connaissances de base comme dans leur expérience personnelle du monde rural, ce qui est normal pour des « urbains ». Cela renforce l’intérêt d’enseigner la géographie rurale mais j’aurais personnellement besoin de pouvoir l’inscrire dans un projet éducatif plus vaste. Le cours « comprendre les espaces géographiques » dispensé en Licence 1 avec Jean-Yves Kiettyetta a été à cet égard stimulant.
La mobilisation étudiante contre le projet de loi El Khomri a quasiment interrompu mes enseignements mais j’en ai tiré profit car cela m’a montré un autre visage de la vie universitaire, des étudiants du département, et un autre rôle à jouer en tant qu’enseignant.
Quelles compétences vous ont été nécessaires pour enseigner la géographie rurale ?
La géographie rurale étudie un ensemble de dynamiques complexes qui font à la fois référence à des éléments structurels, des faits de civilisation que l’on retrouve par exemple dans les paysages, et à des transformations plus récentes qu’il faut articuler dans l’espace et dans le temps. C’est le but même de son enseignement de traiter de ces dimensions de façon pluridisciplinaire, en prenant appui sur la tradition des « ruralistes » et en puisant dans d’autres savoirs comme l’histoire, la sociologie, l’économie ou l’agronomie. Un autre intérêt de la géographie rurale consiste en son appareillage méthodologique très complet, qu’il s’agisse d’analyse spatiale ou de description en termes systémiques. C’est ce que j’ai essayé de mettre en place avant que mes cours s’interrompent.
Qu’est-ce qu’apporte le point de vue d’un géographe sur le monde rural ?
La richesse de la géographie, en tant que discipline de synthèse, est de proposer une lecture deS mondeS ruraux, dans leur multitude, leur diversité, non pas pris isolément mais dans la relation des sociétés en place avec d’autres espaces et d’autres « mondes », en particulier le monde urbain. Scientifiquement, elle intéresse les sciences exactes, sous son versant géophysique et environnemental, et les sciences sociales, tout en gardant une sensibilité marquée aux aspects culturels. Un dernier point fort est aujourd’hui de pouvoir faire dialoguer d’autres spécialistes et praticiens, comme les urbanistes et aménageurs et les écologues, à un moment où les comparaisons sont riches d’enseignement.
Pensez-vous que la géographie rurale est une discipline valorisée ?
Pour paraphraser Bertrand Hervieu et Jean Viard (à propos des agriculteurs, dans leur ouvrage L’archipel paysan, la fin de la république agricole, Paris, Éditions de l’Aube, 2005, p. 17.), les géographes ruralistes constituent « une minorité issue d’une majorité ». La géographie rurale, telle qu’elle s’est construite à l’Université a été par le passé dominante, en phase avec les études régionales. La géographie a évolué en même temps que la société, elle s’est urbanisée et technicisée. Surtout, ses cadres analytiques empruntent à d’autres disciplines, voire à des pratiques d’expertise : géographie sociale ou économique, géographie des transports et des risques. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la catégorie même du « rural », remise en cause par l’urbanisation de la société, et que l’on tend à éclater parmi d’autres cadres théoriques. La même chose se passe d’ailleurs avec les géographies dites par aires culturelles, dont l’intérêt pâlit dans la globalisation. Il tient aux géographes ruralistes de s’en justifier, cela repose en effet sur la pluridisciplinarité, le décloisonnement thématique dont « l’approche ruraliste » peut être le pivot. Pour ma part, je considère que son rôle revient à porter un récit, soit une vision du monde, dans la tradition des humanités. Il y a là un débat sur la portée « théoricienne » des études géographiques. Il est certain que cette vision du rural est mouvante, l’un des enjeux actuels est de la faire évoluer, pour traduire autant qu’accompagner un certain nombre d’aspirations sociales. Il me semble en tout cas essentiel que la géographie rurale conserve sa place d’enseignement fondamental en géographie à l’université.
Que conseilleriez-vous à des étudiants de géographie qui se destinent à se spécialiser en géographie rurale ?
Une des questions qui se pose aux ruralistes actuels est leur déconnexion courante du monde rural. Difficile de penser un monde dont on est absent, de l’envisager seulement d’un point de vue extérieur, par le biais des « ruralités ». Mais cette (im)posture est constitutive des sciences sociales, de ce qu’on appelle l’objectivation. Cet écart est compensé chez le chercheur par une approche dite ethnographique, où l’on passe beaucoup de temps auprès de « l’objet d’étude », par laquelle on l’observe au plus près du quotidien. Indéniablement, se familiariser avec les mondes ruraux en les parcourant, par le voyage, est bénéfique, mais ceci est vrai pour tout géographe. On peut aussi les aborder au moment des stages. À l’université, il s’agit de toute façon d’acquérir une « culture ruraliste », par la lecture des ouvrages consacrés et des revues spécialisées. C’est un bon moyen de cerner le sujet qui nous intéresse et de se donner un but d’étude. Enfin, le monde rural se virtualise également : l’Internet et le numérique sont aussi des moyens d’exploration, par lesquels les divers mondes sociaux se croisent.
Interview réalisée par Djeidie Colot, 2016
Rencontre avec Etienne Monin, enseignant ATER en géographie à Paris 8
Parlez-nous de votre cursus.
J’ai reçu une formation initiale d’ingénieur agronome à l’École nationale supérieure agronomique de Montpellier – devenue Supagro Montpellier - entre 2001 et 2005. Pour cela j’ai intégré après le bac une classe préparatoire « BCPST » (biologie, chimie, physique et sciences de la terre) qui prépare au concours d’entrée dans les écoles d’agronomie.
J’ai travaillé quelques années dans l’agriculture biologique en Île-de-France, avant de décider de reprendre mes études, par la réalisation en 2008-2009 d’un master 2 recherche en géographie à Paris 1, mention Géographie des pays émergents et en développement. J’ai poursuivi en thèse de doctorat à Paris 1, de 2009 à 2015. Dans ma thèse, j’ai étudié les recompositions agricoles dans les périphéries de Shanghai, dans l’interaction avec le développement métropolitain. J’ai finalement soutenu ma thèse fin 2015, avant de rejoindre l’Université Paris 8 en tant qu’ATER en géographie au deuxième semestre 2015-2016.
Pourquoi avoir choisi la géographie rurale ?
Plus jeune, j’étais surtout intéressé par les questions d’environnement, dans une optique « naturaliste » : comprendre les écosystèmes naturels, étudier la biodiversité. Durant mes études d’agronome, j’ai souhaité aller vers un engagement plus concret, plus politique aussi, en faveur de la préservation de l’environnement. Dans les activités agricoles, la relation entre l’homme et son milieu est primordiale, et les pratiques que nous avons ont des répercussions très importantes. Je suis venu à la géographie rurale lorsque mes préoccupations sont devenues plus sociales car notre interaction avec la nature découle de notre organisation sociale, comment nous pensons et vivons collectivement notre « développement ». C’est par l’agriculture que je suis « entré » en géographie rurale, mais trois autres raisons m’ont poussé : les problèmes que posent l’urbanisation dans le monde, une curiosité pour la Chine et la volonté d’aborder ces questions par les sciences humaines.
Repiquage du riz mécanisé Source
Quelles difficultés dans votre poste d'ATER ?
J’ai intégré l’université Paris 8 cette année sans y avoir jamais mis les pieds. Le temps d’adaptation a été très court. Après mes années de recherche, sur un sujet très spécifique, le fait d’enseigner en Licence 1 et 2 a représenté un défi pédagogique. J’étais heureux de mobiliser mes connaissances, ce n’était pas toujours facile de les communiquer simplement. Vis-à-vis de ces apprentissages, j’ai trouvé que les étudiants de ma classe étaient très hétérogènes, dans leurs connaissances de base comme dans leur expérience personnelle du monde rural, ce qui est normal pour des « urbains ». Cela renforce l’intérêt d’enseigner la géographie rurale mais j’aurais personnellement besoin de pouvoir l’inscrire dans un projet éducatif plus vaste. Le cours « comprendre les espaces géographiques » dispensé en Licence 1 avec Jean-Yves Kiettyetta a été à cet égard stimulant.
La mobilisation étudiante contre le projet de loi El Khomri a quasiment interrompu mes enseignements mais j’en ai tiré profit car cela m’a montré un autre visage de la vie universitaire, des étudiants du département, et un autre rôle à jouer en tant qu’enseignant.
Quelles compétences vous ont été nécessaires pour enseigner la géographie rurale ?
La géographie rurale étudie un ensemble de dynamiques complexes qui font à la fois référence à des éléments structurels, des faits de civilisation que l’on retrouve par exemple dans les paysages, et à des transformations plus récentes qu’il faut articuler dans l’espace et dans le temps. C’est le but même de son enseignement de traiter de ces dimensions de façon pluridisciplinaire, en prenant appui sur la tradition des « ruralistes » et en puisant dans d’autres savoirs comme l’histoire, la sociologie, l’économie ou l’agronomie. Un autre intérêt de la géographie rurale consiste en son appareillage méthodologique très complet, qu’il s’agisse d’analyse spatiale ou de description en termes systémiques. C’est ce que j’ai essayé de mettre en place avant que mes cours s’interrompent.
Qu’est-ce qu’apporte le point de vue d’un géographe sur le monde rural ?
La richesse de la géographie, en tant que discipline de synthèse, est de proposer une lecture deS mondeS ruraux, dans leur multitude, leur diversité, non pas pris isolément mais dans la relation des sociétés en place avec d’autres espaces et d’autres « mondes », en particulier le monde urbain. Scientifiquement, elle intéresse les sciences exactes, sous son versant géophysique et environnemental, et les sciences sociales, tout en gardant une sensibilité marquée aux aspects culturels. Un dernier point fort est aujourd’hui de pouvoir faire dialoguer d’autres spécialistes et praticiens, comme les urbanistes et aménageurs et les écologues, à un moment où les comparaisons sont riches d’enseignement.
Pensez-vous que la géographie rurale est une discipline valorisée ?
Pour paraphraser Bertrand Hervieu et Jean Viard (à propos des agriculteurs, dans leur ouvrage L’archipel paysan, la fin de la république agricole, Paris, Éditions de l’Aube, 2005, p. 17.), les géographes ruralistes constituent « une minorité issue d’une majorité ». La géographie rurale, telle qu’elle s’est construite à l’Université a été par le passé dominante, en phase avec les études régionales. La géographie a évolué en même temps que la société, elle s’est urbanisée et technicisée. Surtout, ses cadres analytiques empruntent à d’autres disciplines, voire à des pratiques d’expertise : géographie sociale ou économique, géographie des transports et des risques. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la catégorie même du « rural », remise en cause par l’urbanisation de la société, et que l’on tend à éclater parmi d’autres cadres théoriques. La même chose se passe d’ailleurs avec les géographies dites par aires culturelles, dont l’intérêt pâlit dans la globalisation. Il tient aux géographes ruralistes de s’en justifier, cela repose en effet sur la pluridisciplinarité, le décloisonnement thématique dont « l’approche ruraliste » peut être le pivot. Pour ma part, je considère que son rôle revient à porter un récit, soit une vision du monde, dans la tradition des humanités. Il y a là un débat sur la portée « théoricienne » des études géographiques. Il est certain que cette vision du rural est mouvante, l’un des enjeux actuels est de la faire évoluer, pour traduire autant qu’accompagner un certain nombre d’aspirations sociales. Il me semble en tout cas essentiel que la géographie rurale conserve sa place d’enseignement fondamental en géographie à l’université.
Que conseilleriez-vous à des étudiants de géographie qui se destinent à se spécialiser en géographie rurale ?
Une des questions qui se pose aux ruralistes actuels est leur déconnexion courante du monde rural. Difficile de penser un monde dont on est absent, de l’envisager seulement d’un point de vue extérieur, par le biais des « ruralités ». Mais cette (im)posture est constitutive des sciences sociales, de ce qu’on appelle l’objectivation. Cet écart est compensé chez le chercheur par une approche dite ethnographique, où l’on passe beaucoup de temps auprès de « l’objet d’étude », par laquelle on l’observe au plus près du quotidien. Indéniablement, se familiariser avec les mondes ruraux en les parcourant, par le voyage, est bénéfique, mais ceci est vrai pour tout géographe. On peut aussi les aborder au moment des stages. À l’université, il s’agit de toute façon d’acquérir une « culture ruraliste », par la lecture des ouvrages consacrés et des revues spécialisées. C’est un bon moyen de cerner le sujet qui nous intéresse et de se donner un but d’étude. Enfin, le monde rural se virtualise également : l’Internet et le numérique sont aussi des moyens d’exploration, par lesquels les divers mondes sociaux se croisent.
Interview réalisée par Djeidie Colot, 2016