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Rencontre avec Jean Gardin, maître de conférences de Paris 1

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m'appelle Jean Gardin et j'ai 40 ans. Je suis actuellement Maître de Conférences à l'Université Paris I. Dans ce cadre, je suis membre de l’UMR LADYSS.

Quel parcours vous a conduit à la Géographie ?
Au terme d'un Bac « B », je me suis orienté vers un double DEUG en Géographie et en Sociologie. Ont suivi une licence de Géographie et une maîtrise dans le même domaine. Je suis arrivé en Géographie grâce aux enseignants que j'ai rencontrés durant mes études. C'est la qualité de leur enseignement et leurs conseils qui m'ont poussé à continuer dans cette voie. A l'origine, je me destinais davantage à la Sociologie.

Avant d'arriver sur le poste que vous occupez actuellement, quel fut votre parcours ?
Après ma maîtrise, j’ai pris un an de pause dans les études : j’ai été maître auxiliaire dans le secondaire et je me suis occupé du droit au séjour de tziganes roumains à Nanterre. L'année suivante, en 1995, j'ai passé les concours d'enseignement (capes et agrégation). Est arrivé le temps du service militaire ; j'ai opté pour un service civil, effectué en Tunisie au sein de l'ORSTOM (devenu depuis IRD). Je m'occupais là-bas de recherche en Géographie rurale. Dans le même temps, j'ai rédigé un DEA (Sociétés européennes, rattaché au Ladyss). A suivi une thèse portant sur la forêt kroumire, soutenue en 2004. Je suis donc rentré dans la profession par la voie habituelle (moniteur, ATER et PRAG) à l'université de Nanterre.

Comment avez-vous trouvé l'emploi que vous occupez actuellement ?
Qualifié au CNU, j'ai postulé un peu partout...

Pourriez-vous décrire vos fonctions en quelque mots ?
Il s'agit majoritairement de parler à des étudiants, de les instruire et surtout de les conseiller. Quant à l'aspect Recherche, il consiste à élaborer des problématiques de recherches « innovantes et pertinentes »...(rires). Dans tous les cas, je considère que ma fonction fait de moi un peu plus un prof qu'un chercheur.

Quelles compétences nécessite ce travail ?
Je tiens à croire qu'il s'agit avant tout d'un artisanat – c’est un travail qui dépend de la personne qui le pratique et de l'alchimie particulière de ses compétences. Chaque enseignant est unique au sein de la communauté et cependant semblable à ses collègues par les tâches qu'il y exerce.

Quelles sont les perspectives d'évolution et de formation ?
Très concrètement nous n'avons que peu de temps pour nous former. Pour ma part, je souhaite connaître davantage les « filières pros », pour voir un peu ce que l'on y fait et ce qu'on pourrait y faire.

Votre regard de géographe vous donne-t-il une singularité dans la pratique de votre métier ?
Oui et non – la discipline est toujours vue comme bâtarde, sans méthode propre et n'hésitant pas à piocher dans les autres disciplines (particulièrement en Sciences humaines, mais pas uniquement) les outils qui lui font défaut. Mais nous gardons une singularité : nous restons un peu obnubilés par l’idée de spatialiser les données. On produit des cartes, et ça marque les esprits. De plus, le Géographe ose ce que les autres n’osent pas -c’est à ça qu’on le reconnait- notamment en terme de synthèse. Synthétiser l’Italie en 10 pages dans un atlas, se dire « spécialiste » de la Chine (1/4 de l’humanité !) sont, je crois, de bonnes illustrations de cette audace géographique, à la fois donquichottesque et très nécessaire.

Par exemple, votre métier a-t-il changé l'idée que vous aviez de la géographie ?
Oui ! Je ne parle pas du contenu mais des conditions d’exercice. C'est assez pauvre en rêve (notamment au sein des collectifs de recherche)... Ce n’était guère brillant avant la LRU, c’est devenu bien pire.

Que conseilleriez-vous à des étudiants de géographie qui se destinent à l’enseignement ?
Je ne sais pas. Je crois que plus il y aura de gens « sympas », c'est à dire humains, mieux la discipline se portera.

Avez-vous des conseils particuliers concernant la manière de traiter avec l’administration
L’administration veut et doit être connue et reconnue. Quand on arrive sur un poste, nous n’avons pas de formation spécifique à ce sujet, donc pas de connaissance du fonctionnement réel et des rôles de chacun. Comme l’Université se caractérise bien souvent par des rapports d’individus, il est possible d’entendre, dans le cadre de réunions, les prénoms de trois ou quatre personnes jouant un rôle clé dans l’établissement d’un projet. Ces prénoms semblent déconnectés de toute fonction, ou, en tout cas, connus de tous... Il nous incombe donc de visualiser les rôles de chacun à tous les niveaux. Il est souvent utile d’être en mesure d’évaluer la nature (et la qualité) des rapports interpersonnels. Je dirais qu’il s’agit d’un jeu sans règles.

Quelles expériences et qualités vous paraissent fondamentales dans l’exercice de ce métier ?
Avant tout, je crois qu’il est indispensable d’avoir deux ou trois convictions idéologiques, et d’être cohérent avec soi-même. Former des étudiants du supérieur est une fonction qui n’est pas sans conséquences, en particulier d’un point de vue politique et social. A part ça, je crois que tout est utile, que la maîtrise de langues étrangères est incontournable, sinon impérative dans le cas de l’anglais. Il est bien sûr souhaitable d’être reconnu spécialiste d’un terrain puisque le terrain garde une place majeure dans le métier de Géographe.

Quelles manières de faire ou de dire sont à proscrire dans le poste ?
Je répondrai en deux temps.
D’abord, s’agissant du recrutement, comme dans toute recherche d’emplois, il convient de « rentrer dans les cases » propres au poste (ce qui implique de bien les connaître). De ce fait, on ne peut faire l’économie d’une analyse approfondie de la demande. C’est une forme de marketing : il est inutile de présenter quelque chose qui n’est pas maîtrisée, que ce soit au niveau des projets de recherche ou même de la réalisation du CV. Il est important de connaître le système en vigueur. A ce stade, pas de tourisme !
Ensuite, s’agissant de la « survie » dans le poste, chacun déploie une stratégie propre. Pour caricaturer, il y a d’une part les « absentéistes », qui sont globalement méprisés par leurs collègues, mais également enviés pour leur capacité à éviter les brouilles, et les stakhanovistes, à ce point investis dans tous les aspects de leur existence professionnelle que leur « réseau personnel» reste instable et incohérent. Certains passent de l’un à l’autre, d’autres ne rentrent pas dans ces critères. Chacun reste différent.
Globalement dans ce métier, je crois que celui qui vit mal dans son poste, c’est celui qui n’a pas su évaluer ses priorités.

Où trouvez-vous la documentation nécessaire pour votre travail ?
Lorsque j’étais étudiant, les bibliothèques étaient le seul lieu de référence. Maintenant majoritairement sur le net. Malheureusement, ai-je envie de dire, puisqu’avec cette pratique, le rapport à la documentation à changé. Il y a d’avantage de lectures courtes, rapides ou transversales. Je ne dispose plus du temps comme lorsque j’étais étudiant, ce qui renvoie les « grosses » lectures, les ouvrages de fond et de réflexion sur les périodes de vacances. Si l’on ajoute à cela que la recherche sur les bases de données n’est pas si évidente, que sur Internet la barrière entre le « factuel » et le scientifique est à construire en permanence, on peut comprendre qu’un outil que l’on a coutume d’encenser ne soit pas exempt de travers. Mais il est là et comme mes collègues, je fais avec.

Et la question du droit d’auteur dans ce cadre ?
Certains ne se font jamais prendre... (rires). C’est un élément qui me préoccupe constamment. La discipline reste suffisamment « familiale » pour que l’on puisse se contacter les uns les autres assez aisément, par mail le plus souvent.

Quel usage avez-vous d’internet ?
Comme tout géographe, j’ai mes marques sur quelques sites, en particulier le Géoportail ou Google Earth, pour ce qui concerne la spatialisation et la localisation des données. Le Sudoc ou Cairn pour la construction de bibliographie.

Et avec les étudiants ?
Je dois donner un cours au second semestre sur l’usage des bases de données scientifiques. Je ne peux que les encourager à construire leur esprit critique. Concernant le « copié/collé » dans les copies, il m’arrive de vérifier sur Internet si des extraits de copies me mettent la puce à l’oreille. Mais copié/collé ou pas, une mauvaise copie reste une mauvaise copie. Certains contrôlent mes propos sur leur Iphone. Je ne sais pas encore quoi faire de ceux-là. Il restera toujours dans l’esprit de bien des gens cette confusion entre pinaillage et savoir scientifique !

Janvier 2012