Retour - Métiers de la géographie
Collaborez-vous avec des personnes de professions différentes pour réaliser vos projets ?
Enormément. Comme je le dis souvent, je suis au milieu du sablier, au niveau du goulot d’étranglement. Je dois expliquer aux enseignants chercheurs pourquoi la rigueur dans la gestion administrative, juridique et financière de leurs projets est importante. Je dois, de l’autre côté, aider juristes et financiers à comprendre les enjeux scientifiques d’un projet et faire que l’enseignant-chercheur garde le maximum d’autonomie dans la réalisation de sa recherche.
Je vulgarise pour les industriels et les élus ce que font nos enseignants-chercheurs. De l’autre côté, j’essaye d’accoutumer les EC à ce monde, parfois un peu éloigné de leurs préoccupations de recherche.
Je travaille aujourd’hui dans une université multidisciplinaire dans le domaine maritime. C’est passionnant, je dialogue au quotidien avec des juristes, des biologistes, des ingénieurs et bien sûr des géographes (spécialisés dans la gestion spatiale maritime).
Pouvez-vous nous parler d’un de vos projets ?
Actuellement, nous travaillons beaucoup sur le développement des champs éoliens offshore sur la façade atlantique. C’est passionnant car les enjeux sont nombreux : défis techniques pour réaliser ces structures, mais aussi maintenance et démantèlement. Evidemment, se posent également les questions d’impacts sur les écosystèmes et aussi sur les activités humaines déjà présentes, telles que le nautisme et surtout la pêche. Le sujet est extrêmement complexe, tant en termes de solutions techniques que d’acceptabilité des citoyens. Je suis une fervente partisane de la transition énergétique mais je me pose aujourd’hui la question des choix qui sont faits. Peut-être y aurait-il eu intérêt à développer des modèles plus complexes mais plus respectueux incluant activités de pêche, meilleure protection des écosystèmes, peut-être avec des structures plus petites et plus résilientes, plus faciles à accepter pour les habitants.
Quel est l’aspect le plus plaisant de votre métier ?
Ce métier nourrit ma curiosité intellectuelle. J’adore aller visiter des sites d’essais et des laboratoires. J’ai souvent l’impression de vivre dans le « monde d’après », avec ses dangers et ses risques mais aussi ses formidables espoirs. Transition énergétique, bateaux à hydrogène et à énergies renouvelables, énergies marines renouvelables, impacts du changement climatique sur le littoral etc. Tous ces sujets m’aident aussi dans ma réflexion de citoyen.
A discuter avec tous ces enseigneurs-chercheurs de disciplines variées, j’ai l’impression de « m’endormir un peu moins bête tous les soirs », comme dirait ma grand-mère !
Pensez-vous que votre parcours universitaire vous a bien préparée à faire face à ces difficultés ?
Je préfère être honnête, je n’utilise aucun cours du DESU au quotidien, mais pas plus que n’importe quel autre cours des formations universitaires ou d’école d’ingénieur que j’ai pu suivre.
A mon sens,mes trois quarts des difficultés que l’on rencontre dans le milieu professionnel sont humaines (mauvaise compréhension entre les gens, a-priori, guerres d’ego etc.) et ça, il n’y a que l’école de la vie pour nous l’apprendre ! Effectivement, je n’ouvre pas mes classeurs de cours pour trouver une solution lorsque j’ai un problème professionnel. Mais, selon moi, l’Université n’est pas là pour ça. Mes cours m’ont été utiles pour ouvrir mon esprit, pour le structurer, pour apprendre à penser, à rédiger, pour faire des voyages d’études, comprendre l’histoire et les représentations culturelles.
A mon sens, dans le monde actuel, croire qu’une formation initiale, aussi bonne soit-elle est suffisante, est illusoire. Les choses évoluent si vite qu’il faut s’attendre à devoir changer de métier plusieurs fois pendant sa vie, acquérir sans cesse de nouvelles connaissances, se former à de nouveaux outils. L’adaptation est bien sûr plus aisée quand on a une solide formation de base.
Avez-vous des conseils pour les étudiants de géographie ?
Cultivez votre curiosité d’esprit, voyagez, parlez avec des gens de tous horizons et faites votre expérience par vous-même ! Pour ma part, j’apprends autant d’un pêcheur ou d’un agriculteur que d’un grand ponte scientifique. Les technologies numériques actuelles segmentent les gens : on nous propose du contenu en fonction de ce qu’on aime déjà, de ce qu’on pense déjà, tout ceci valorise notre point de vue et notre ego mais nous coupe de l’altérité et rétrécit cruellement notre champ de vision ! Si vous avez choisi la géographie, j’ose croire que c’est parce que vous aimez comprendre le monde et dépasser les horizons.
Lisez beaucoup, toutes sortes de sources. Apprenez à identifier vos sources d’information (absolument crucial avec les réseaux sociaux !). Pensez à toujours faire un petit pas de côté dans la vie et mettez-vous à la place de l’Autre en cas de difficulté (ça aide beaucoup à résoudre les problèmes)
Et surtout : in-ven-tez ! Nous avons besoin de toute cette jeunesse créative et bouillonnante pour nous aider à résoudre tous les défis actuels.
Et profitez de vos années étudiantes : les miennes ont été aussi pauvres financièrement que riches intellectuellement ! J’ai bien failli abandonner plusieurs fois par manque de moyens mais je ne regrette pas de m’être accrochée, même si les journées étaient bien longues entre cours, petits jobs et révision des partiels.
Comment voyez-vous votre avenir ?
J’aime bien mon métier actuellement mais je dois avouer que plus les années passent, plus j’ai envie d’aller vers autre chose. Une vie complètement auto-suffisante dans ma fermette par exemple, toujours entourée de mes chevaux bien sûr ! Quoiqu’il en soit, je crois que je resterai toujours très proche du milieu de la recherche et de la formation, car dans le monde actuel, plus que jamais, je crois que nous avons profondément besoin des chercheurs, de leur prise de recul sur les évènements, de leur capacité à analyser les faits et à s’extraire du sensationnel.
Je n’aime pas trop cette accélération du temps que nous vivons actuellement, cette urgence des petites phrases et des buzz, en dépit du fond, des faits et du temps de l’analyse. Je crois également que toutes les solutions aux crises que nous vivons ne sont pas que techniques. Les sciences humaines et sociales sont cruciales pour nous aider à repenser nos modèles politiques et économiques. Les innovations technologiques s’accélèrent, mais nos esprits, nos lois, nos sociétés et nos cultures y sont-elles préparées ?
Interview réalisée par Amaury Fernandes, 2017
Collaborez-vous avec des personnes de professions différentes pour réaliser vos projets ?
Enormément. Comme je le dis souvent, je suis au milieu du sablier, au niveau du goulot d’étranglement. Je dois expliquer aux enseignants chercheurs pourquoi la rigueur dans la gestion administrative, juridique et financière de leurs projets est importante. Je dois, de l’autre côté, aider juristes et financiers à comprendre les enjeux scientifiques d’un projet et faire que l’enseignant-chercheur garde le maximum d’autonomie dans la réalisation de sa recherche.
Je vulgarise pour les industriels et les élus ce que font nos enseignants-chercheurs. De l’autre côté, j’essaye d’accoutumer les EC à ce monde, parfois un peu éloigné de leurs préoccupations de recherche.
Je travaille aujourd’hui dans une université multidisciplinaire dans le domaine maritime. C’est passionnant, je dialogue au quotidien avec des juristes, des biologistes, des ingénieurs et bien sûr des géographes (spécialisés dans la gestion spatiale maritime).
Pouvez-vous nous parler d’un de vos projets ?
Actuellement, nous travaillons beaucoup sur le développement des champs éoliens offshore sur la façade atlantique. C’est passionnant car les enjeux sont nombreux : défis techniques pour réaliser ces structures, mais aussi maintenance et démantèlement. Evidemment, se posent également les questions d’impacts sur les écosystèmes et aussi sur les activités humaines déjà présentes, telles que le nautisme et surtout la pêche. Le sujet est extrêmement complexe, tant en termes de solutions techniques que d’acceptabilité des citoyens. Je suis une fervente partisane de la transition énergétique mais je me pose aujourd’hui la question des choix qui sont faits. Peut-être y aurait-il eu intérêt à développer des modèles plus complexes mais plus respectueux incluant activités de pêche, meilleure protection des écosystèmes, peut-être avec des structures plus petites et plus résilientes, plus faciles à accepter pour les habitants.
Quel est l’aspect le plus plaisant de votre métier ?
Ce métier nourrit ma curiosité intellectuelle. J’adore aller visiter des sites d’essais et des laboratoires. J’ai souvent l’impression de vivre dans le « monde d’après », avec ses dangers et ses risques mais aussi ses formidables espoirs. Transition énergétique, bateaux à hydrogène et à énergies renouvelables, énergies marines renouvelables, impacts du changement climatique sur le littoral etc. Tous ces sujets m’aident aussi dans ma réflexion de citoyen.
A discuter avec tous ces enseigneurs-chercheurs de disciplines variées, j’ai l’impression de « m’endormir un peu moins bête tous les soirs », comme dirait ma grand-mère !
Pensez-vous que votre parcours universitaire vous a bien préparée à faire face à ces difficultés ?
Je préfère être honnête, je n’utilise aucun cours du DESU au quotidien, mais pas plus que n’importe quel autre cours des formations universitaires ou d’école d’ingénieur que j’ai pu suivre.
A mon sens,mes trois quarts des difficultés que l’on rencontre dans le milieu professionnel sont humaines (mauvaise compréhension entre les gens, a-priori, guerres d’ego etc.) et ça, il n’y a que l’école de la vie pour nous l’apprendre ! Effectivement, je n’ouvre pas mes classeurs de cours pour trouver une solution lorsque j’ai un problème professionnel. Mais, selon moi, l’Université n’est pas là pour ça. Mes cours m’ont été utiles pour ouvrir mon esprit, pour le structurer, pour apprendre à penser, à rédiger, pour faire des voyages d’études, comprendre l’histoire et les représentations culturelles.
A mon sens, dans le monde actuel, croire qu’une formation initiale, aussi bonne soit-elle est suffisante, est illusoire. Les choses évoluent si vite qu’il faut s’attendre à devoir changer de métier plusieurs fois pendant sa vie, acquérir sans cesse de nouvelles connaissances, se former à de nouveaux outils. L’adaptation est bien sûr plus aisée quand on a une solide formation de base.
Avez-vous des conseils pour les étudiants de géographie ?
Cultivez votre curiosité d’esprit, voyagez, parlez avec des gens de tous horizons et faites votre expérience par vous-même ! Pour ma part, j’apprends autant d’un pêcheur ou d’un agriculteur que d’un grand ponte scientifique. Les technologies numériques actuelles segmentent les gens : on nous propose du contenu en fonction de ce qu’on aime déjà, de ce qu’on pense déjà, tout ceci valorise notre point de vue et notre ego mais nous coupe de l’altérité et rétrécit cruellement notre champ de vision ! Si vous avez choisi la géographie, j’ose croire que c’est parce que vous aimez comprendre le monde et dépasser les horizons.
Lisez beaucoup, toutes sortes de sources. Apprenez à identifier vos sources d’information (absolument crucial avec les réseaux sociaux !). Pensez à toujours faire un petit pas de côté dans la vie et mettez-vous à la place de l’Autre en cas de difficulté (ça aide beaucoup à résoudre les problèmes)
Et surtout : in-ven-tez ! Nous avons besoin de toute cette jeunesse créative et bouillonnante pour nous aider à résoudre tous les défis actuels.
Et profitez de vos années étudiantes : les miennes ont été aussi pauvres financièrement que riches intellectuellement ! J’ai bien failli abandonner plusieurs fois par manque de moyens mais je ne regrette pas de m’être accrochée, même si les journées étaient bien longues entre cours, petits jobs et révision des partiels.
Comment voyez-vous votre avenir ?
J’aime bien mon métier actuellement mais je dois avouer que plus les années passent, plus j’ai envie d’aller vers autre chose. Une vie complètement auto-suffisante dans ma fermette par exemple, toujours entourée de mes chevaux bien sûr ! Quoiqu’il en soit, je crois que je resterai toujours très proche du milieu de la recherche et de la formation, car dans le monde actuel, plus que jamais, je crois que nous avons profondément besoin des chercheurs, de leur prise de recul sur les évènements, de leur capacité à analyser les faits et à s’extraire du sensationnel.
Je n’aime pas trop cette accélération du temps que nous vivons actuellement, cette urgence des petites phrases et des buzz, en dépit du fond, des faits et du temps de l’analyse. Je crois également que toutes les solutions aux crises que nous vivons ne sont pas que techniques. Les sciences humaines et sociales sont cruciales pour nous aider à repenser nos modèles politiques et économiques. Les innovations technologiques s’accélèrent, mais nos esprits, nos lois, nos sociétés et nos cultures y sont-elles préparées ?
Interview réalisée par Amaury Fernandes, 2017