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Selon Le nouveau Petit Robert 2008, plagier, c’est copier (un auteur) en s’attribuant indûment des passages de son œuvre. Le Grand Dictionnaire Terminologique ajoute l’utilisation des écrits d'autrui sans mention d'emprunt.

La lutte anti-piratage fait couler beaucoup d'encre et suscite des réactions passionnées au contraire du plagiat dont on parle peu. L'un est-il plus grave que l'autre ? Jugez-en par vous-même : le piratage consiste à voler une oeuvre sans rémunérer l'auteur, le plagiat à copier une partie d'une oeuvre et à se faire passer pour son auteur jusqu'à profiter de tous les bénéfices (réputation, carrière, droits d'auteur...) qui lui sont liés. Ce n'est pas nouveau ? Certes, mais à l'heure du tout numérique, la pratique explose.

Rencontre avec Jean-Noël Darde

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Je suis maître de conférences à Paris 8. Je suis entré dans l'université nouvellement créée de Vincennes en janvier 1969, en tant qu’étudiant de géographie (je me souviens fort bien des cours de Josué de Castro). Après avoir fait du journalisme et un parcours multidisciplinaire, j’ai soutenu ma thèse sur le discours de presse en 1984. J’enseigne au département Hypermédia de l’UFR MITSIC. Mon blog Archéologie du copier-coller a été créé en 2009.

D'où est né votre intérêt pour le plagiat* ?
Il ne s’agit en aucun cas d’une vocation ! J’y ai été confronté en tant qu’enseignant et j’ai été choqué par le refus têtu de mes collègues de porter attention à ce problème.
Tout a commencé en septembre 2005. Deux mémoires du Master NET (Numérique : Enjeux et Technologies) m’avaient été confiés pour lecture avant la soutenance : l’un et l’autre, du « copier-coller » à quasi 100%. J’ai alors repris une trentaine de mémoires soutenus les années antérieures. Au moins dix d’entre eux affichaient des taux de plagiat supérieurs à 40%. J’ai communiqué ma découverte à mes collègues. À mon grand étonnement, non seulement aucune décision n'a été prise, mais mon insistance à demander que des procédures d’annulation soient ouvertes pour deux mémoires, validés en 2001 et 2004, qui étaient du « copier-coller » pur, a même déclenché une certaine hostilité. Moins de deux mois après, malgré les promesses édifiantes que cela ne se reproduirait plus, un des deux auteurs de ces mémoires-plagiats soutenait une thèse avec presque 100% de « copier-coller » et obtenait les félicitations du jury (voir mon blog) !

Dans quels cas parle-t-on de plagiat ?
Lorsqu’il s’agit de « plagiat servile » (le simple copié-collé par exemple), il n’y a aucune ambigüité. En revanche, il peut y avoir des cas plus complexes : un fonctionnaire marocain, thésard en géographie en France (1994), a reconnu quelques-unes de ses phrases dans une thèse de 2008 soutenue à Paris 12 par un étudiant algérien qui ne le citait nulle part. Mais dans ce cas, plus que les quelques phrases volées, ce serait une méthode originale pour aboutir à une cartographie des risques de glissement de terrain dans une région donnée qui constituerait le véritable plagiat. Les instances de Paris 12 ont répondu au « plagié » que le dossier qu’il avait soumis allait être étudié.

Que dit la loi sur ce sujet ? Quelles sont les sanctions ?
Si l’affaire arrive jusqu’à la formation disciplinaire du Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) dans le cas d’une thèse où des plagiats importants sont avérés, la thèse est annulée et le plagiaire le plus souvent exclu à vie de tout établissement public d’enseignement supérieur. Mais très souvent, peut-être dans la majorité des cas, l’affaire est étouffée dès le départ pour ne pas porter préjudice au Directeur de thèse et à la réputation de l’Université. J’étudie en ce moment un cas de thèse-plagiat où des universitaires ont fait pression sur le plagié (lui aussi universitaire), pour qu’il se taise. Ceci afin, écrivaient-ils, de ne pas nuire à la carrière du Directeur de la thèse-plagiat.

Existe-t-il des outils permettant de détecter le plagiat ?
Il existe des logiciels anti-plagiat. Les plus connus sont Compilatio, Turnitin, et Urkund. Cependant, leur efficacité est très limitée comme je l’explique dans mon blog. Leur emploi systématique - c’est aujourd’hui une attitude qui a l’appui du Ministère - soulève un problème de déontologie : obliger chaque étudiant, doctorant, enseignant, chercheur à faire passer ses travaux par un logiciel de ce type est le choix du soupçon généralisé. Par ailleurs, les entreprises qui placent des logiciels anti-plagiat auprès des universités n'ont aucun scrupule à diffuser auprès des étudiants des logiciels qui permettent de contrer ceux fournis aux enseignants. Ainsi « Pompotron », destiné aux étudiants, est diffusé par la même entreprise qui livre « Compilatio » aux universités.
J e pense que la meilleure façon de lutter contre ce problème est d’abord de faire de la prévention : un enseignement sur le choix, l’utilisation et le référencement des sources ainsi que les principes éthiques qui doivent prévaloir dans la recherche. Ensuite agir par dissuasion : convaincre l’auteur tenté par le plagiat, qu’il soit étudiant ou enseignant, qu’il ne sera pas épargné si ses plagiats sont découverts.

Quelles responsabilités relèvent de la Cartothèque si elle met des documents plagiés à disposition de ses lecteurs ?
En théorie, il existe un délit de recel de contrefaçon. Mais ce serait illogique de reprocher à des bibliothécaires de diffuser des thèses-plagiats que des enseignants ont laissé soutenir et que le service des thèses leur demande de diffuser. L'ADBS (l'association des professionnels de l'information et de la documentation) m’a demandé d’écrire à ce propos.

Depuis que vous vous intéressez à cette question et que vous avez créé votre blog, avez-vous noté une prise de conscience de la part de la communauté universitaire ?
La présentation de cas emblématiques fait progresser l’analyse de la situation et la prise de conscience. Il existe des cas de thèses-plagiats si graves qu’ils touchent à la corruption caractérisée. Un exemple consternant de cette situation sera bientôt traité sur mon blog (en principe, l’article devrait être mis en ligne à la mi-mai).
Il faut une grande rigueur dans l'étude de ces dossiers pour ne pas prêter le flanc à des procès. On doit apporter la preuve irréfutable des plagiats, c’est-à-dire retrouver le texte plagié. Les cas de simples « copier-coller » sont donc les plus faciles à traiter. Mais trouver le texte original d’un copier-coller issu d’une traduction automatique peut être plus délicat… (voir « Le briquet de Darwin »)
Je ne suis heureusement pas le seul à m’intéresser au plagiat universitaire. Michelle Bergadaà en Suisse et Hélène Maurel-Indart contribuent activement à alerter la communauté universitaire sur une pratique très ancienne que les usages numériques sont en train de faire exploser. On peut aussi s’informer sur le séminaire « Le plagiat de la recherche » ouvert à l’initiative de Geneviève Koubi (Droit, Paris 8) et de Gilles Guglielmi (Droit, Paris 2). Nous préparons sur ce thème un colloque qui devrait se dérouler en octobre 2011 au Sénat. Notre idée est de convaincre de la nécessité de légiférer sur le plagiat universitaire qui est un cas très particulier de plagiat et de contrefaçon.

Avril 2011
Mise à jour 2022