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Paul Vidal de la Blache et l'exposition Terrain de la cartothèque

Paul Vidal de la Blache est un géographe du XIXe siècle (1845-1918) resté dans la mémoire populaire pour les cartes de France Vidal-Lablache pendues aux murs des écoles à partir de 1885. Il est à l'origine d'une géographie française scientifique et moderne élaborée après la défaite de la France face à la Prusse en 1871 ; en cause, la supériorité de la géographie allemande. Sa conception de la géographie est restée vivace jusque dans les années 60 époque à laquelle, sous le feu des critiques, cette dernière s'est transformée en SHS.

Pour en savoir plus sur la géographie vidalienne
Ses livres disponibles à la BU

« Des caractères distinctifs de la géographie », conférence donnée en 1908, commence par ces lignes :

« Appelé à parler de géographie devant un auditoire de futurs maîtres formés aux méthodes scientifiques, mais se préparant à des enseignements divers, je me suis demandé, non sans embarras, quelle était, parmi les questions que soulève un tel sujet, celle qui convenait le mieux en la circonstance. J’ai été frappé, à la réflexion, des malentendus qui règnent sur l’idée même de géographie. »

Il poursuit avec l'accusation classique portée contre la géographie, sciences des pies.

« La géographie est tenue de puiser aux mêmes sources de faits que la géologie, la physique, les sciences naturelles et, à certains égards, les sciences sociologiques. Elle se sert de notions dont quelques-unes sont l’objet d’études approfondies dans des sciences voisines. De là vient, pour le dire en passant, le reproche qui lui est parfois adressé de vivre d’emprunts, d’intervenir indiscrètement dans le champ d’autrui, comme s’il y avait des compartiments réservés dans le domaine de la science. Gardons-nous d’attacher à ces critiques plus d’importance que ne leur en attribuent sans doute leurs auteurs. En réalité, comme nous verrons, la géographie a bien un domaine qui lui est propre. »

puis s'emploie à définir le domaine de la géographie. Or, le 5e point de son discours nous intéresse tout particulièrement car il illustre bien l'exposition que Félix Poyer vous propose dans le couloir du 1er étage du bâtiment D.

Son titre : L'humain et le terrain. Son thème : des photos de terrain faites et commentées par les étudiants et lui-même.

Écoutons Paul Vidal de la Blache

« La géographie se distingue comme science essentiellement descriptive. Non pas assurément qu’elle renonce à l’explication : l’étude des rapports des phénomènes, de leur enchaînement et de leur évolution, sont autant de chemins qui y mènent. Mais cet objet même l’oblige, plus que toute autre science, à suivre minutieusement la méthode descriptive. [...] Aucun indice, aucune nuance même ne saurait passer inaperçue ; chacune a sa valeur géographique, soit comme dépendance, soit comme facteur, dans l’ensemble qu’il s’agit de rendre sensible.

[...] Dans le riche clavier de formes que la nature étale à nos yeux, les conditions sont si diverses, si entre-croisées, si complexes qu’elles risquent d’échapper à qui croit trop tôt les tenir.

Deux écueils sont particulièrement à craindre : celui des formules trop simples et rigides entre lesquelles glissent les faits, et celui des formules à tel point multipliées qu’elles ajoutent à la nomenclature et non à la clarté. Décrire, définir et classer, pour de là déduire, sont des opérations qui logiquement se tiennent ; mais les phénomènes naturels d’ordre géographique ne se plient pas avec un empressement toujours docile aux catégories de l’esprit.

La description géographique doit être souple et variée comme son objet même.

C’est souvent profit pour elle de puiser dans la terminologie populaire ; celle-ci s’étant formée directement en contact avec la nature, telle désignation saisie sur le vif, tel dicton rural ou proverbe peuvent ouvrir un jour sur un rapport, une périodicité, une coïncidence, toutes choses qui se réclament directement de la géographie. »

« Notre chien veut bien recevoir nos coups, il s'enfuit devant le bâton de l'étranger » est une des citations affichée sur le panneau d'exposition de la Syrie.

« Ce n’est pas non plus sans raison que dans les livres ou mémoires géographiques les représentations figurées tiennent de plus en plus de place. Le dessin, la photographie entrent à titre de commentaires dans la description. Les figures schématiques ont leur utilité comme instrument de démonstration. »

Parmi les photos affichées et commentées : le port de Porto Novo au Cap vert et ses versants arrosées par les pluies, un champ de melons du Nordeste au Brésil, une échoppe de rhum trafiqué en Guadeloupe, le poste frontière de Jarubulus en Syrie, le chamanisme des Tsaatans en Mongolie...
aquarelle potager
« Mais rien ne vaut le dessin comme moyen d’analyse pour serrer de près la réalité, et comme contrôle de ces observations directes, qui trouvent aujourd’hui dans les excursions géographiques l’occasion fréquente de s’exercer. »

et de belles aquarelles du Sénégal dont celle-ci (cliquez)

« L’habitude de ces leçons itinérantes est, chez nous, un des plus remarquables gains pédagogiques de ces dernières années. C’est l’école de plein air, plus hygiénique et plus efficace que toute autre. Elle choisit d’avance ses textes, c’est-à-dire les paysages où se ramasse, dans une perspective plus facile à saisir, cet ensemble de traits caractéristiques qui gravent dans l’esprit du géographe l’idée de contrée. »

En introduction de l'exposition, Félix Poyer a affiché : « On se moque à demi-mots de cette génération de géographes qui affirmaient avec force : la géographie, ça se pratique d'abord avec les pieds. »

Le département de géographie continue à perpétuer cette tradition hautement pédagogique du terrain avec des sorties sur une journée ou de grands stages comme celui qui aura lieu au mont St Michel en mai 2014. Ce n'est pas Paul Vidal de la Blache qui l'en blâmerait.

Le texte complet de Des caractères distinctifs de la géographie.
L'exposition est visible jusqu'à fin mars au 1er étage du bâtiment D, côté droit.

Mars 2014