Témoignages de terrain - Sénégal - De retour de Saint-Louis du Sénégal
Rencontre avec Alice Furtado et Thomas Maillard, doctorants en géographie
Pouvez-vous vous présenter ?
Alice Furtado, j'entre en 2e année de doctorat de géographie à Paris 8 et je travaille sur des questions de géographie de la santé. Mon sujet de thèse : les dynamiques territoriales et la santé dans la vallée du fleuve Sénégal.
Thomas Maillard, en 2e année de doctorat de géographie. Je travaille sur l'agriculture en milieu urbain, au Sénégal. Nous avons fait notre terrain ensemble à Saint-Louis et nous venons de revenir après 6 mois passés là-bas.
A. Nous y étions déjà allés pour le master 1, au même endroit. La ville nous avait plu : elle se trouve dans le delta du fleuve, sur un archipelet chaque îlot possède sa particularité.
T. Être sur le terrain ensemble est un plus. On débarque dans un endroit nouveau, connu seulement par les cartes et les livres, si on a bien fait le boulot préparatoire ! Il faut donc du temps pour se familiariser, entrer dans la vie quotidienne : faire les courses, se loger etc. Être à deux facilite cette intégration.
A. Le soir, nous échangions nos impressions, Thomas après sa journée passée auprès des agriculteurs, moi, au contact des personnels de santé et des habitants. Nous nous soutenions mutuellement et ces échanges étaient aussi un moyen d'élargir notre cercle de contacts.
T. On a aussi quelqu'un à qui parler de géographie. Les enseignants sont loin et pris par leur propre rythme.
Agrandir le cercle de contacts est important. Au début du terrain, on prend du temps pour se faire connaître, pour entrer dans le groupe de personnes étudiées et dans le territoire. Un ou deux mois après, les gens nous acceptent et les discussions deviennent intéressantes.
A. La vie quotidienne nous apporte aussi beaucoup. Nous n'oublions jamais la géographie que ce soit au marché, avec nos amis etc. Les discussions informelles nous apprennent énormément.
T. La première année, nous avons rencontré un jeune Saint-Louisien qui nous a présenté sa famille et celle-ci nous a « adoptés ». Avec eux, nous parlons de tout. C'est un gros coup de chance de les avoir rencontrés. Même si on peut aider la chance...
A. C'est aussi un réconfort dans les « coups de blues ».
Quel est l'avantage du terrain par rapport aux études dans l'université ?
A. Tout ce qu'on a fait en cours est mis en pratique. Il faut aiguiser son œil, observer dans l'objectif de répondre à cette question qu'on s'est posé nous-mêmes dans le cadre de notre travail de recherche. Nous comprenons que ce qu'on lit n'est pas toujours vrai et que nous sommes pleins de préjugés, persuadés d'avoir tout compris grâce à nos lectures mais quand nous arrivons sur le terrain,
T. ça ne colle pas.
A. Ça ne colle pas du tout ! Nous avons donc la possibilité de vérifier les informations en allant au devant des gens, des institutions.
T. Un peu comme dans une enquête de police. Quand on arrive, on ne comprend rien, d'autant quand on est dans un pays étranger. Petit à petit, les choses s'éclairent et à un moment, un déclic a lieu et tout semble plus clair et cette connaissance s'accroît d'entretien en entretien. On voit alors de nouvelles choses et on se pose d'autres questions. Et là, il faut s'arrêter !
Il est agréable de sentir que l'enquête avance.
Revenons aux livres : ils vous sont quand même utiles...
A. On a beau avoir étudié cartes et livres, la réalité n'a rien à voir. Mais faire des lectures avant de partir reste fondamental.
T. Il faut deux lectures, avant et après car alors, on appréhende le livre différemment.
Et la liberté ?
T. Dangereux !
A. C'est génial d'avoir cette liberté car on est autonome, le sujet est le nôtre, la méthode aussi mais on est livrés à nous-mêmes et il faut une grande rigueur. Par exemple, faut-il s'astreindre à retranscrire les entretiens chaque soir ou simplement les collecter ?
Le climat joue aussi un rôle important. Travailler par 40 degrés n'est pas évident...
T.Personne ne vérifiera que nous travaillons tous les jours.
A. Ainsi, j'adorais me rendre à l'infirmerie, travailler avec le personnel de santé, proposer mes questionnaires aux patients. Mais certains jours, j'étais épuisée et je me forçais à y aller.
T. On a toujours envie d'interpréter ce qu'on voit. Il est impossible de collecter des données et de dire qu'on interprétera au retour. Sur place, déjà, on réfléchit, on aimerait passer une journée à mettre ses idées au clair mais ce n'est pas le but du terrain. Toutefois se contenter d'accumuler est impossible. Cela dépend aussi de la forme des questionnaires. S'ils sont très structurés, il y a peu à interpréter. S'ils sont plus libres, il faut rester aux aguets, relancer l'interlocuteur et donc interpréter.
La vie quotidienne prend beaucoup de temps aussi car nous n'avons pas les habitudes. Faire les courses pour la semaine en France prend deux heures. Au Sénégal, on y passe la journée. Et le rythme de vie est différent. Les gens travaillent entre 7h et midi puis se reposent 3 heures et reprennent vers 15-16h jusqu'à 18h. On pense qu'on pourra rencontrer le maire dans l'après-midi mais non, il ne reçoit pas.
A. On doit donc se construire des journées de travail type sans oublier les moments de détente.
Quand y retournez-vous ?
A. En juin 2013 et pour six mois. Nous n'avons pas fini le travail de terrain et notamment, pas encore étudié Richard Toll. En revanche, nous ne reviendrons pas en cours de séjour car c'est trop perturbant.
T. Nous sommes presque Saint-Louisiens, nous avons noué des relations fortes, nous habitons un peu là-bas et je pense qu'on y fera une partie de notre travail de rédaction.
A. Me dire qu'il faut attendre juin pour repartir est difficile. C'est un endroit qui me manque. Je me suis convaincue de l'intérêt de mon travail à Saint-Louis, une fois sur le terrain.
T. C'est aussi parce que les gens sont intéressés. J'ai rédigé un rapport pour les agriculteurs qui pourra les aider à obtenir des financements. Au final, notre légitimité est renforcée. Nous ne sommes pas là pour faire seulement une thèse académique, en dehors du monde réel. Nous participons à la vie locale.
A. On perd sans doute un peu d'objectivité mais qui est vraiment objectif ? On s'est attachés au terrain.
Et après le 3e terrain, ce sera la rédaction ?
A. Après une grosse période de déprime parce qu'on ne repartira pas tout de suite ! Et avant une autre déprime, quand il faudra analyser et rédiger...
Décembre 2013
Rencontre avec Alice Furtado et Thomas Maillard, doctorants en géographie
Pouvez-vous vous présenter ?
Alice Furtado, j'entre en 2e année de doctorat de géographie à Paris 8 et je travaille sur des questions de géographie de la santé. Mon sujet de thèse : les dynamiques territoriales et la santé dans la vallée du fleuve Sénégal.
Thomas Maillard, en 2e année de doctorat de géographie. Je travaille sur l'agriculture en milieu urbain, au Sénégal. Nous avons fait notre terrain ensemble à Saint-Louis et nous venons de revenir après 6 mois passés là-bas.
A. Nous y étions déjà allés pour le master 1, au même endroit. La ville nous avait plu : elle se trouve dans le delta du fleuve, sur un archipelet chaque îlot possède sa particularité.
T. Être sur le terrain ensemble est un plus. On débarque dans un endroit nouveau, connu seulement par les cartes et les livres, si on a bien fait le boulot préparatoire ! Il faut donc du temps pour se familiariser, entrer dans la vie quotidienne : faire les courses, se loger etc. Être à deux facilite cette intégration.
A. Le soir, nous échangions nos impressions, Thomas après sa journée passée auprès des agriculteurs, moi, au contact des personnels de santé et des habitants. Nous nous soutenions mutuellement et ces échanges étaient aussi un moyen d'élargir notre cercle de contacts.
T. On a aussi quelqu'un à qui parler de géographie. Les enseignants sont loin et pris par leur propre rythme.
Agrandir le cercle de contacts est important. Au début du terrain, on prend du temps pour se faire connaître, pour entrer dans le groupe de personnes étudiées et dans le territoire. Un ou deux mois après, les gens nous acceptent et les discussions deviennent intéressantes.
A. La vie quotidienne nous apporte aussi beaucoup. Nous n'oublions jamais la géographie que ce soit au marché, avec nos amis etc. Les discussions informelles nous apprennent énormément.
T. La première année, nous avons rencontré un jeune Saint-Louisien qui nous a présenté sa famille et celle-ci nous a « adoptés ». Avec eux, nous parlons de tout. C'est un gros coup de chance de les avoir rencontrés. Même si on peut aider la chance...
A. C'est aussi un réconfort dans les « coups de blues ».
Quel est l'avantage du terrain par rapport aux études dans l'université ?
A. Tout ce qu'on a fait en cours est mis en pratique. Il faut aiguiser son œil, observer dans l'objectif de répondre à cette question qu'on s'est posé nous-mêmes dans le cadre de notre travail de recherche. Nous comprenons que ce qu'on lit n'est pas toujours vrai et que nous sommes pleins de préjugés, persuadés d'avoir tout compris grâce à nos lectures mais quand nous arrivons sur le terrain,
T. ça ne colle pas.
A. Ça ne colle pas du tout ! Nous avons donc la possibilité de vérifier les informations en allant au devant des gens, des institutions.
T. Un peu comme dans une enquête de police. Quand on arrive, on ne comprend rien, d'autant quand on est dans un pays étranger. Petit à petit, les choses s'éclairent et à un moment, un déclic a lieu et tout semble plus clair et cette connaissance s'accroît d'entretien en entretien. On voit alors de nouvelles choses et on se pose d'autres questions. Et là, il faut s'arrêter !
Il est agréable de sentir que l'enquête avance.
Revenons aux livres : ils vous sont quand même utiles...
A. On a beau avoir étudié cartes et livres, la réalité n'a rien à voir. Mais faire des lectures avant de partir reste fondamental.
T. Il faut deux lectures, avant et après car alors, on appréhende le livre différemment.
Et la liberté ?
T. Dangereux !
A. C'est génial d'avoir cette liberté car on est autonome, le sujet est le nôtre, la méthode aussi mais on est livrés à nous-mêmes et il faut une grande rigueur. Par exemple, faut-il s'astreindre à retranscrire les entretiens chaque soir ou simplement les collecter ?
Le climat joue aussi un rôle important. Travailler par 40 degrés n'est pas évident...
T.Personne ne vérifiera que nous travaillons tous les jours.
A. Ainsi, j'adorais me rendre à l'infirmerie, travailler avec le personnel de santé, proposer mes questionnaires aux patients. Mais certains jours, j'étais épuisée et je me forçais à y aller.
T. On a toujours envie d'interpréter ce qu'on voit. Il est impossible de collecter des données et de dire qu'on interprétera au retour. Sur place, déjà, on réfléchit, on aimerait passer une journée à mettre ses idées au clair mais ce n'est pas le but du terrain. Toutefois se contenter d'accumuler est impossible. Cela dépend aussi de la forme des questionnaires. S'ils sont très structurés, il y a peu à interpréter. S'ils sont plus libres, il faut rester aux aguets, relancer l'interlocuteur et donc interpréter.
La vie quotidienne prend beaucoup de temps aussi car nous n'avons pas les habitudes. Faire les courses pour la semaine en France prend deux heures. Au Sénégal, on y passe la journée. Et le rythme de vie est différent. Les gens travaillent entre 7h et midi puis se reposent 3 heures et reprennent vers 15-16h jusqu'à 18h. On pense qu'on pourra rencontrer le maire dans l'après-midi mais non, il ne reçoit pas.
A. On doit donc se construire des journées de travail type sans oublier les moments de détente.
Quand y retournez-vous ?
A. En juin 2013 et pour six mois. Nous n'avons pas fini le travail de terrain et notamment, pas encore étudié Richard Toll. En revanche, nous ne reviendrons pas en cours de séjour car c'est trop perturbant.
T. Nous sommes presque Saint-Louisiens, nous avons noué des relations fortes, nous habitons un peu là-bas et je pense qu'on y fera une partie de notre travail de rédaction.
A. Me dire qu'il faut attendre juin pour repartir est difficile. C'est un endroit qui me manque. Je me suis convaincue de l'intérêt de mon travail à Saint-Louis, une fois sur le terrain.
T. C'est aussi parce que les gens sont intéressés. J'ai rédigé un rapport pour les agriculteurs qui pourra les aider à obtenir des financements. Au final, notre légitimité est renforcée. Nous ne sommes pas là pour faire seulement une thèse académique, en dehors du monde réel. Nous participons à la vie locale.
A. On perd sans doute un peu d'objectivité mais qui est vraiment objectif ? On s'est attachés au terrain.
Et après le 3e terrain, ce sera la rédaction ?
A. Après une grosse période de déprime parce qu'on ne repartira pas tout de suite ! Et avant une autre déprime, quand il faudra analyser et rédiger...
Décembre 2013