Témoignages de terrain - Syrie - Retour du gouvernorat d’Al Hassaka, en Syrie
Rencontre avec Félix Poyer, documentaliste
J’ai profité de trois semaines de congés pour visiter le Gouvernorat d’Al Hassaka, en Syrie.
Cette région au Nord-Est du pays, au contact de l’Irak et de la Turquie est en grande partie peuplée par des kurdes syriens.
Pourquoi se rendre dans cette région ?
Il s’agit d’un moment historique pour les kurdes de Syrie.
Depuis 1921 les kurdes sont séparés entre 4 pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Les situations nationales sont différentes, mais à l’exception des kurdes d’Irak qui disposent à présent d’une région autonome, les kurdes doivent vivre dans des pays qui ne reconnaissent pas ou peu leurs droits culturels.
A la faveur de la Révolution syrienne et de la réaction du régime de Bashar Al-Assad, les partis politiques kurdes peuvent envisager la construction d’une région autonome.
Pour ce faire ils se sont donné des droits culturels -comme la pratique de leur langue, le kurmandji- qui leur étaient jusque là défendus.
Pour construire cette autonomie, les partis politiques kurdes, appuyés par le Kurdistan d’Irak ont mis –au moins temporairement- leurs divisions de côté.
Observer la réalité des réalisations -par delà les discours officiels, comprendre les logiques à l’œuvre et leurs conséquences à venir sont, je crois, trois motifs valables et suffisants de se rendre, avec ou sans motivations académiques, sur un terrain.
Qu’observe-t-on sur place ?
Ce qui frappe en premier lieu, c’est la clairvoyance géopolitique de la population et son pragmatisme. Il faut dire que les kurdes ont eu, dans leur histoire, bien des occasions de comprendre que les intérêts étatiques prévalent sur les idéaux dont ils sont porteurs.
Dès le début de la Révolution Syrienne, en 2011, le régime de Bachar Al-Assad a choisi de « ménager » (comparativement…) les kurdes, afin d’éviter qu’ils ne grossissent massivement les rangs de l’opposition. L’idée s’est ensuite imposée pour le parti Baath de diviser l’opposition syrienne sur des bases confessionnelles et ethniques. Conscients de l’opportunité et considérant que l’opposition ne fournissait pas assez de garanties pour une reconnaissance du peuple kurde, les partis politiques ont choisi d’élaborer une troisième voie.
Pour le moment, la force militaire dominante chez les kurdes, les YPG (Yekîneyên Parastina Gel :Unités de Protection Populaire) défendent les zones peuplées majoritairement par les kurdes. Ils n’affrontent pas les forces de Bachar Al-Assad toujours présentes dans la Jezireh… Et ces derniers en contrepartie leur laissent toute latitude pour administrer leur territoire « libéré ». C’est donc une situation ambigüe et un peu incertaine que l’on observe.
La « paix » préservée et la guerre en germe, la volonté affirmée de faire chuter Bachar Al-Assad sans prendre les armes contre le régime, une « union sacrée » des partis politiques kurdes pour constituer cette région autonome … et des tensions interne quant à l’avenir de cette région et sa gouvernance.
Concrètement, comment cela se traduit-il ?
La liberté, dans ces temps incertains, ce sont souvent des marqueurs spatiaux : graffitis, drapeaux affiches ou checkpoints fleurissent dans cette région temporairement préservée (cliquez sur la photo pour l'agrandir).
Les deux influences principales lisibles dans l’espace sont d’une part celle du P.K.K. (guérilla kurde de Turquie, soutenue par la Syrie jusqu’en 1998…) qui compose le gros de la force kurde déployée sous la bannière des YPG et d’autre part le poids du PDK de Mustafa Barzani, le parti au commandes au Kurdistan d’Irak qui dispose lui d’un poids diplomatique certain, de moyens financiers ainsi que de l’expérience politique dans la construction d’une région autonome kurde.
Ce sont également d’autres redéfinitions, auxquelles un géographe est sensible : kurdisation d’une toponymie arabisée par 40 ans de contrôle baathiste, nouvelles polarisation de l’espace –en fonction des contraintes de la guerre, mais aussi d’affinités- vers la Turquie ou le Kurdistan d’Irak plutôt que vers la « capitale régionale » Al-Hassaka et la capitale nationale Damas. A un réseau routier « prédateur », captant les ressources et les centralisant via Al-Hassaka en direction de Damas, on substitue un axe structurant de Serêkanie (Ras Al Ayn) à Dêrik (Al-Malikyia)...
Mais tout cela n’est qu’une affaire d’équilibres, de redéfinitions permanentes.
Juillet 2013
Rencontre avec Félix Poyer, documentaliste
J’ai profité de trois semaines de congés pour visiter le Gouvernorat d’Al Hassaka, en Syrie.
Cette région au Nord-Est du pays, au contact de l’Irak et de la Turquie est en grande partie peuplée par des kurdes syriens.
Pourquoi se rendre dans cette région ?
Il s’agit d’un moment historique pour les kurdes de Syrie.
Depuis 1921 les kurdes sont séparés entre 4 pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Les situations nationales sont différentes, mais à l’exception des kurdes d’Irak qui disposent à présent d’une région autonome, les kurdes doivent vivre dans des pays qui ne reconnaissent pas ou peu leurs droits culturels.
A la faveur de la Révolution syrienne et de la réaction du régime de Bashar Al-Assad, les partis politiques kurdes peuvent envisager la construction d’une région autonome.
Pour ce faire ils se sont donné des droits culturels -comme la pratique de leur langue, le kurmandji- qui leur étaient jusque là défendus.
Pour construire cette autonomie, les partis politiques kurdes, appuyés par le Kurdistan d’Irak ont mis –au moins temporairement- leurs divisions de côté.
Observer la réalité des réalisations -par delà les discours officiels, comprendre les logiques à l’œuvre et leurs conséquences à venir sont, je crois, trois motifs valables et suffisants de se rendre, avec ou sans motivations académiques, sur un terrain.
Qu’observe-t-on sur place ?
Ce qui frappe en premier lieu, c’est la clairvoyance géopolitique de la population et son pragmatisme. Il faut dire que les kurdes ont eu, dans leur histoire, bien des occasions de comprendre que les intérêts étatiques prévalent sur les idéaux dont ils sont porteurs.
Dès le début de la Révolution Syrienne, en 2011, le régime de Bachar Al-Assad a choisi de « ménager » (comparativement…) les kurdes, afin d’éviter qu’ils ne grossissent massivement les rangs de l’opposition. L’idée s’est ensuite imposée pour le parti Baath de diviser l’opposition syrienne sur des bases confessionnelles et ethniques. Conscients de l’opportunité et considérant que l’opposition ne fournissait pas assez de garanties pour une reconnaissance du peuple kurde, les partis politiques ont choisi d’élaborer une troisième voie.
Pour le moment, la force militaire dominante chez les kurdes, les YPG (Yekîneyên Parastina Gel :Unités de Protection Populaire) défendent les zones peuplées majoritairement par les kurdes. Ils n’affrontent pas les forces de Bachar Al-Assad toujours présentes dans la Jezireh… Et ces derniers en contrepartie leur laissent toute latitude pour administrer leur territoire « libéré ». C’est donc une situation ambigüe et un peu incertaine que l’on observe.
La « paix » préservée et la guerre en germe, la volonté affirmée de faire chuter Bachar Al-Assad sans prendre les armes contre le régime, une « union sacrée » des partis politiques kurdes pour constituer cette région autonome … et des tensions interne quant à l’avenir de cette région et sa gouvernance.
Concrètement, comment cela se traduit-il ?
La liberté, dans ces temps incertains, ce sont souvent des marqueurs spatiaux : graffitis, drapeaux affiches ou checkpoints fleurissent dans cette région temporairement préservée (cliquez sur la photo pour l'agrandir).
Les deux influences principales lisibles dans l’espace sont d’une part celle du P.K.K. (guérilla kurde de Turquie, soutenue par la Syrie jusqu’en 1998…) qui compose le gros de la force kurde déployée sous la bannière des YPG et d’autre part le poids du PDK de Mustafa Barzani, le parti au commandes au Kurdistan d’Irak qui dispose lui d’un poids diplomatique certain, de moyens financiers ainsi que de l’expérience politique dans la construction d’une région autonome kurde.
Ce sont également d’autres redéfinitions, auxquelles un géographe est sensible : kurdisation d’une toponymie arabisée par 40 ans de contrôle baathiste, nouvelles polarisation de l’espace –en fonction des contraintes de la guerre, mais aussi d’affinités- vers la Turquie ou le Kurdistan d’Irak plutôt que vers la « capitale régionale » Al-Hassaka et la capitale nationale Damas. A un réseau routier « prédateur », captant les ressources et les centralisant via Al-Hassaka en direction de Damas, on substitue un axe structurant de Serêkanie (Ras Al Ayn) à Dêrik (Al-Malikyia)...
Mais tout cela n’est qu’une affaire d’équilibres, de redéfinitions permanentes.
Juillet 2013