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Témoignages de terrain - Népal - Katmandou



Rencontre avec Annick Hollé, enseignante de géographie

J'ai profité des congés de Pâques pour me rendre sur mon terrain de recherche dans la vallée de Katmandou, au Népal, où je travaille depuis 25 ans maintenant sur le phénomène d'urbanisation, développement urbain. Au départ, c'est une analyse de la façon dont des gens construisent leur espace en fonction de leur culture : que vont-ils mettre en place ? Comment vont-ils s'organiser spatialement en fonction de leur culture ? Dans un pays de castes, les gens sont hiérarchisés, rangés socialement dans des catégories bien différenciées, ce qui structure énormément l'espace. Ils n'ont pas le droit de se servir du même puits, ils ne s'autorisent pas à habiter dans les mêmes maisons etc.

As-tu observé des changements ?
Tout a beaucoup changé en 25 ans. Au fur et à mesure, j'ai abordé la ville selon différents aspects et une fois le travail général sur l'urbanisation effectué, j'ai travaillé sur des thématiques. La question du patrimoine notamment car sept sites sont classés au patrimoine de l'Unesco dans la vallée de Katmandou. Que restaure-t-on ? Commment restaure-t-on ? quels sont les choix faits et par qui ? Comment la population ressent ces restaurations ? J'ai travaillé aussi sur les questions de risque sismique et des vulnérabilités sociales et urbanistiques puisqu'on est dans une région qui tremble régulièrement, à peu près un grand tremblement de terre par siècle. Le dernier a eu lieu en 1934... J'ai donc pris différents thèmes au cours du temps pour aborder la question de la ville. Sur cette dernière mission, ma thématique était l'extension urbaine. Thème qui paraît banal car la ville grandit mais les changements ont été si importants que je voulais observer la situation sur un seul quartier mais finalement, j'ai englobé beaucoup plus de choses car tout était très transformé.

Quel a été pour toi le changement le plus notable ?
Le nombre de cités fermées (« Gated Communities ») qui se sont mises en place autour de la ville. J'en connaissais deux ou trois balbutiantes il y a cinq ans. Maintenant, il en existe une quinzaine et en étudiant les images, je suis certaine d'en trouver d'autres. Je suis allée faire des entretiens avec les gens dans ces petits mondes fermés, repliés sur eux-mêmes.
Illustration : Gated Community. Cliquez sur la photo pour l'agrandir

Sont-ils de la même caste ?
Non, c'est très varié du point de vue sociologique. On peut dire que c'est une caste "économique" : ceux qui peuvent se payer ce type de logement. Ceux qui appartiennent aux très basses castes n'ont pas les moyens donc la question de la caste ne se pose pas vraiment mais si des gens de bas statut social souhaitait acquérir un logement, cela poserait problème car en ville, cela en pose encore. Les gens de bas statut restent exclus de nombreux quartiers.
Ces quartiers fermés sont de tout style (c'est assez savoureux d'ailleurs !). Ils ont un fonctionnement bien à eux avec des gardiens, des gens qui nettoyent les rues alors que le reste de la ville croule sous les ordures. Ils ont aussi de l'eau et de l'électricité. Les gens en ont marre que ce soit sale et mal géré et dès qu'ils le peuvent, ils habitent là-dedans ce qui explique le succès de ces quartiers.

Sortent-ils de leur vase clos ?
Je faisais une interview quand j'ai vu arriver un minibus qui ramenait les enfants de leurs écoles privées. Certains quartiers possèdent des épiceries à l'entrée et elles sont quasiment attachées à un quartier.
Un autre changement est la construction de tours fermées de dix à quatorze étages. J'en ai visité plusieurs. Elles seront livrées dans six mois mais des gens y habitent déjà. Il y a aussi des quartiers fermés d'une douzaine de tours avec piscine, sauna, distribution d'eau et d'électricité. Dans Katmandou, il y a une journée d'eau par semaine chez les particuliers et seize heures de coupure d'électricité par jour. Tous ces conforts sont prévus ainsi que des équipements collectifs. Le rez-de-chaussée de ces immeubles sera occupé par des boutiques. Le slogan est : vous n'aurez à sortir d'ici que pour aller travailler.
Toutes ces formes d'urbanisme se sont développées sur les cinq dernières années. Elles m'ont sauté aux yeux dès l'arrivée en avion. Ces « communities » sont désormais en plein fonctionnement, les gens y vivent et j'ai pu avoir un retour d'expérience : ils sont ravis.


Et comment réagit la ville ?
Elle met en place des lotissements que je suis allée visiter. C'était très intéressant. L'idée est de lotir et de viabiliser les terres avant que les gens ne construisent dessus. Certains sont faits sur des quartiers déjà en partie habités, ce qui est compliqué, notamment pour retailler des routes tandis que d'autres sont pris sur des rizières et des champs, ce qui est moins problématique. La ville et le gouvernement ont différents projets sur la vallée.
Illustration : Planification urbaine au Nord ouest de Katmandou. Cliquez sur la photo pour l'agrandir

Les formes d'extension urbaine sont donc variées et modifient considérablement l'espace urbain. Auparavant, le propriétaire installait une maison sur sa parcelle et se demandait après comment il allait se raccorder au réseau, aujourd'hui il y a davantage d'anticipation et une volonté de gestion du collectif mais par des circuits privés.

Qu'est-ce qui frappe les étrangers arrivant à Katmandou ?
La religiosité. Au moindre coin de rue, on trouve des cailloux vénérés avec de la poudre rouge et des grains de riz, à chaque virage, dans chaque perspective, on voit des temples. Moi, je ne le vois plus ! Je répère davantage les fils électriques devant les temples mais les étrangers sont frappés par la prégnance de la religion sur l'espace urbain. Ils sont aussi touchés par la gentillesse de la population. Je ne me fais jamais refuser un entretien. Les gens sont toujours disponibles et répondent à toutes les questions : prix des terres, des loyers etc. Touristes et collègues chercheurs s'accordent à dire que la population est très accueillante et très sympathique.

A découvrir ici, d'autres photos et la présentation d'une école.

Mai 2013