Témoignages de terrain - Les terrains de Madagascar - Comment s'orienter dans une grotte ?
Récit d'Eric Gilli, professeur de géographie
Depuis quelques années, j'essaye au gré de mes vacances d'été, profitant de la saison sèche où le faible niveau de l'eau permet d'accéder à l'ensemble des réseaux, de dresser le plan des grottes de la partie sud du massif de l'Ankarana (Madagascar). Cette année là, en 2007, nous étions avec mon fils et Franck Tessier (MDC à l'université de Nice) dans la grotte d'Andavakandrehy que j'avais découverte l'année précédente.
Cliquez sur l'image pour avoir l'ensemble du plan
On y accède en traversant un marécage qui occupe le centre d'un vaste effondrement dissimulé au coeur d'une petite butte calcaire. L'endroit est magique et forme un véritable petit jardin tropical perdu dans un univers aride et minéral. De l'autre côté du marécage, s'ouvre l'entrée de la grotte peuplée de quelques oiseaux et chauves-souris. Elle est baignée d'une lumière verte car la roche est recouverte de mousse mais rapidement la lumière du jour fait place à l'obscurité et des kilomètres de galeries s'étendent dans la masse calcaire.
Dresser le plan d'une grotte est un travail fastidieux et méthodique qui se fait station par station. Depuis un point caractéristique : sommet d'un bloc, grosse stalagmite, passage étroit, etc., on vise un autre point caractéristique en recueillant l'azimut grâce à un compas, la pente à l'aide d'un clinomètre et la distance avec un télémètre laser.
Les données sont soigneusement recueillies sur un carnet de terrain avec un classique crayon à papier, seul objet qui résiste à l'eau et à la boue. A chaque station est attribué un numéro. Un croquis du site et des notes sur la géologie, la morphologie et l'hydrologie complètent les chiffres. Une journée de terrain permet d'acquérir des centaines de mesures et le rendu final se fait par ordinateur grâce à des logiciels spécialisés tels que Visualtopo.
A Andavakandréhy, le réseau débute par la traversée d'une très vaste salle encombrée de gros blocs couverts de concrétions. En franchissant une crête abrupte, on redescend ensuite vers une large galerie parcourue par un cours d'eau en saison des pluies mais totalement sèche en septembre. Ce passage mène rapidement à un carrefour. Vers la droite s'étend un réseau de galeries ornées de superbes concrétions rouges et blanches. Vers la gauche se trouvent les nouvelles parties que nous sommes venus explorer. Devant nous s'étend un vaste chaos de blocs et de dalles qu'il faut franchir ou contourner. Sa géométrie est difficile à appréhender et plusieurs fois nous devons rebrousser chemin avant de trouver un passage donnant accès à la suite de la grotte.
Cliquez sur les images de grotte pour les agrandir
A partir de là, le cheminement est plus simple, nous progressons aussi rapidement que le permettent les mesures, une grande galerie au sol argileux se poursuit sur des centaines de mètres. Quelques affluents sont topographiés puis nous atteignons une rivière. Impossible d'aller plus loin sans un canot pneumatique. L'eau est trop profonde et ces cours d'eau souterrains sont peuplés d'anguilles géantes et parfois de crocodiles au milieu desquels nous n'aimons pas trop barboter ! Cela sera donc un objectif parfait pour une nouvelle expédition l'année suivante.
Après un rapide casse croûte, nous rebroussons donc chemin. Le retour dans la galerie est aisé, mais cette dernière s'élargit et fait place au chaos de blocs que nous avions franchi à l'aller. Rapidement un douloureux constat s'impose : nous sommes perdus.
Pendant plus d'une heure nous escaladons les blocs, passons sous d'improbables voûtes, explorons les moindres recoins. Des galeries sont découvertes, mais l'absence de traces de pas prouve leur virginité. Nous ne sommes pas venus par là. Nous évoluons dans un véritable labyrinthe minéral. L'équipe se scinde pour élargir les recherches tout en veillant à rester à portée de voix. Rien n'y fait.
J'ai beau relire mes notes, décrypter les croquis, impossible de retrouver des formes caractéristiques. Tout se ressemble : des blocs, des blocs, encore d'autres blocs ! Nous ne sommes pas en danger car nous avons de la nourriture, de l'eau et de l'éclairage, et compte tenu de la température des lieux, il est possible de dormir sans équipement. Cependant aucun de nous ne souhaite s'éterniser dans la grotte. Et puis miracle, au sommet d'un de ces blocs, je trouve, coincé par une petite pierre, une feuille de mon carnet avec le numéro 26 ! Une station ! En effet, lorsqu'un point est placé à un carrefour de galeries j'y dépose souvent un bout de papier avec son numéro pour permettre de débuter la topographie des nouveaux passages et de la raccorder au plan existant.
Nous sommes tirés d'affaire. Il suffit de relire les notes et de faire au compas une visée inverse pour retrouver la station 25, puis la 24 et ainsi de suite, jusqu'au franchissement du chaos de blocs. Dans nos errements nous étions passés dix fois tout près du passage sans le voir.
Novembre 2012
[Sur ce blog, de belles photos de Madagascar dont une avec des chauve-souris malgaches]
Récit d'Eric Gilli, professeur de géographie
Depuis quelques années, j'essaye au gré de mes vacances d'été, profitant de la saison sèche où le faible niveau de l'eau permet d'accéder à l'ensemble des réseaux, de dresser le plan des grottes de la partie sud du massif de l'Ankarana (Madagascar). Cette année là, en 2007, nous étions avec mon fils et Franck Tessier (MDC à l'université de Nice) dans la grotte d'Andavakandrehy que j'avais découverte l'année précédente.
Cliquez sur l'image pour avoir l'ensemble du plan
On y accède en traversant un marécage qui occupe le centre d'un vaste effondrement dissimulé au coeur d'une petite butte calcaire. L'endroit est magique et forme un véritable petit jardin tropical perdu dans un univers aride et minéral. De l'autre côté du marécage, s'ouvre l'entrée de la grotte peuplée de quelques oiseaux et chauves-souris. Elle est baignée d'une lumière verte car la roche est recouverte de mousse mais rapidement la lumière du jour fait place à l'obscurité et des kilomètres de galeries s'étendent dans la masse calcaire.
Dresser le plan d'une grotte est un travail fastidieux et méthodique qui se fait station par station. Depuis un point caractéristique : sommet d'un bloc, grosse stalagmite, passage étroit, etc., on vise un autre point caractéristique en recueillant l'azimut grâce à un compas, la pente à l'aide d'un clinomètre et la distance avec un télémètre laser.
Les données sont soigneusement recueillies sur un carnet de terrain avec un classique crayon à papier, seul objet qui résiste à l'eau et à la boue. A chaque station est attribué un numéro. Un croquis du site et des notes sur la géologie, la morphologie et l'hydrologie complètent les chiffres. Une journée de terrain permet d'acquérir des centaines de mesures et le rendu final se fait par ordinateur grâce à des logiciels spécialisés tels que Visualtopo.
A Andavakandréhy, le réseau débute par la traversée d'une très vaste salle encombrée de gros blocs couverts de concrétions. En franchissant une crête abrupte, on redescend ensuite vers une large galerie parcourue par un cours d'eau en saison des pluies mais totalement sèche en septembre. Ce passage mène rapidement à un carrefour. Vers la droite s'étend un réseau de galeries ornées de superbes concrétions rouges et blanches. Vers la gauche se trouvent les nouvelles parties que nous sommes venus explorer. Devant nous s'étend un vaste chaos de blocs et de dalles qu'il faut franchir ou contourner. Sa géométrie est difficile à appréhender et plusieurs fois nous devons rebrousser chemin avant de trouver un passage donnant accès à la suite de la grotte.
Cliquez sur les images de grotte pour les agrandir
A partir de là, le cheminement est plus simple, nous progressons aussi rapidement que le permettent les mesures, une grande galerie au sol argileux se poursuit sur des centaines de mètres. Quelques affluents sont topographiés puis nous atteignons une rivière. Impossible d'aller plus loin sans un canot pneumatique. L'eau est trop profonde et ces cours d'eau souterrains sont peuplés d'anguilles géantes et parfois de crocodiles au milieu desquels nous n'aimons pas trop barboter ! Cela sera donc un objectif parfait pour une nouvelle expédition l'année suivante.
Après un rapide casse croûte, nous rebroussons donc chemin. Le retour dans la galerie est aisé, mais cette dernière s'élargit et fait place au chaos de blocs que nous avions franchi à l'aller. Rapidement un douloureux constat s'impose : nous sommes perdus.
Pendant plus d'une heure nous escaladons les blocs, passons sous d'improbables voûtes, explorons les moindres recoins. Des galeries sont découvertes, mais l'absence de traces de pas prouve leur virginité. Nous ne sommes pas venus par là. Nous évoluons dans un véritable labyrinthe minéral. L'équipe se scinde pour élargir les recherches tout en veillant à rester à portée de voix. Rien n'y fait.
J'ai beau relire mes notes, décrypter les croquis, impossible de retrouver des formes caractéristiques. Tout se ressemble : des blocs, des blocs, encore d'autres blocs ! Nous ne sommes pas en danger car nous avons de la nourriture, de l'eau et de l'éclairage, et compte tenu de la température des lieux, il est possible de dormir sans équipement. Cependant aucun de nous ne souhaite s'éterniser dans la grotte. Et puis miracle, au sommet d'un de ces blocs, je trouve, coincé par une petite pierre, une feuille de mon carnet avec le numéro 26 ! Une station ! En effet, lorsqu'un point est placé à un carrefour de galeries j'y dépose souvent un bout de papier avec son numéro pour permettre de débuter la topographie des nouveaux passages et de la raccorder au plan existant.
Nous sommes tirés d'affaire. Il suffit de relire les notes et de faire au compas une visée inverse pour retrouver la station 25, puis la 24 et ainsi de suite, jusqu'au franchissement du chaos de blocs. Dans nos errements nous étions passés dix fois tout près du passage sans le voir.
Novembre 2012
[Sur ce blog, de belles photos de Madagascar dont une avec des chauve-souris malgaches]