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Témoignages de terrain - Haïti - Sortie de terrain en Haïti



Rencontre avec Ségolène Darly, enseignante de géographie

Tu es partie une semaine en Haïti avec Cyril Castanet, autre enseignant de géographie. Dans quel cadre ?
Dans le cadre du master délocalisé de Paris 8 à l'Ecole Normale Supérieure de Port-au-Prince : des étudiants haïtiens sont inscrits à l'université Paris 8 dans le master de géographie et ce sont les enseignants du département de géo qui vont leur donner les cours.

Cyril Castanet et toi avez emmené les étudiants en dehors de Port-au-Prince, dans une sortie de terrain. Oui car Cyril et moi travaillons plutôt sur des terrains en dehors de la ville. Les étudiants ne connaissaient pas ces endroits pour lesquels nous n'avions pas de cartes...


D'où un problème d'orientation
Nous avons beaucoup utilisé Google Earth (GE) qui marche très bien pour Haïti car il y a une très bonne couverture satellite sur toute l'île, à haute précision et depuis longtemps. On peut donc repérer des chemins. Nous avons étudié les vues données par GE puis nous avons fait une première sortie de reconnaissance avec le chauffeur, un soir après les cours. Nous avons tenté l'une des routes repérées pour vérifier si nous pouvions passer : la route n'était plus là ! emportée par une crue !Ca n'en restait pas moins un très beau site pour leur parler des risques et des vulnérabilités donc nous y sommes retournés lors de la sortie de terrain. Nous avons ensuite continué sur un autre site "non défriché". On savait à peu près la direction, celle de Léogane et qu'il fallait prendre une piste pour entrer dans les champs de canne et atteindre le littoral. Mais à Léogane déjà, nous avons eu du mal à nous repérer.

La solution : les copies d'écran GE que nous avions imprimées, avec les noms des localités et de proche en proche, nous avons avancé. Nos outils : les images à plusieurs échelles de GE, le repérage du paysage : nous étions sous des arbres alors que la plaine est cultivée en canne à sucre ce qui m'a permis de me retrouver, et enfin, avec la boussole, nous avons eu confirmation que nous n'étions pas dans la bonne direction... Demi-tour donc. Les gens rencontrés (peu nombreux au milieu des champs) ne connaissaient pas toujours l'endroit où nous voulions aller et ne pouvaient nous fournir des indications très précises...

Vous comprenez le créole ?
Non mais les étudiants et le chauffeur traduisaient.

Tes impressions ?
Le paysage change presque à vue d'oeil au rythme des pluies, des crues. Des pans entiers de montagne s'effondrent, les littoraux évoluent ; l'approche de Cyril qui est spécialiste en géophysique était intéressante sur le cycle de l'eau, le relief etc. et complétait mon approche plus agronomique ou géographie agricole. Cette double approche est essentielle sur des terres où l'accès à l'eau et sa gestion sont si importants.

Quelles sont les productions agricoles ?
Sur les versants, on a trouvé des cultures associées banane plantain, haricot, avec souvent des systèmes d'irrigation, puis des céréales sur les zones plus sèches. Ils chenalisent les rivières ou canalisent et pompent. Sur la plaine, c'est la canne à sucre presque en monoculture, avec des unités de transformation. Rien n'est mécanisé. Cette agriculture est donc très consommatrice de main d'oeuvre ce qui a au moins l'avantage de fournir des emplois à des populations qui ne pourraient de toute façon pas en trouver en ville à l'heure actuelle. On a vu des animaux, ânes, boeufs, chevaux utilisés pour le transport mais nous n'avons pas vu d'attelages ou de charrues dans cette zone.

Ces campagnes ont-elle été autant touchées que Port-au-Prince ?
Nos étudiants préfèrent travailler sur les vulnérabilités urbaines même si l'un d'eux réfléchit à la question de l'habitat rural et des risques. Il reste des maisons endommagées et nous avons vu à certains endroits des baraquements mis en place par l'ONU. Les zones visitées sont évidemment très vulnérables et ont souffert du tremblement de terre et des inondations, surtout dans les plaines et les basses terres. Dans le premier site, ce n'est pas seulement la route qui a été arrachée mais toutes les cultures du fond de la vallée. Nous avons vu des habitations perchées au bord de la falaise ; à la prochaine crue, elles seront emportées par les éboulements.

Ce terrain est très différent de ceux sur lesquels je travaille d'habitude (plutôt en France et au Canada). J'ai retrouvé dans le paysage une grande diversité de stratégies d'adaptation des paysans aux aléas. En tant qu'agronome de formation initiale, j'ai trouvé cela passionnant !

Voir l'album terrain de Haïti 2013
Mars 2013