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Témoignages de terrain - Etats-Unis / Afrique du Sud - Un sens inné de l'orientation



Rencontre avec Caroline Moumaneix, ATER au département de géographie

Quand la cartothèque m’a demandé si je pouvais partager quelques-unes de mes expériences d’orientation (ou de désorientation) sur le terrain,j'ai répondu que je ne me perdais jamais… Cela m’a conduite à me demander pourquoi. Il est vrai que je ne m’égare presque jamais. Il m’est arrivé de voyager dans des villes inconnues de moi, comme Madrid, Cordoue ou Séville (Espagne). Dans les médinas hispaniques par exemple, mon inconscient retient des repères (une façade, un détail sur un bâtiment) et des directions (par exemple, la dernière fois que je suis passée par là, j’ai tourné à droite). Du coup, je pense que j’arrive à me repérer car j’ai conscience –parfois inconsciemment- du lieu dans lequel je me trouve et de la direction que je suis. Cette constatation, qui mériterait sans doute davantage de réflexion et d’analyse, se vérifie sur d’autres terrains, notamment dans les parcs que j’ai étudiés pour ma thèse (parcs frontaliers entre les Etats-Unis et le Canada).

Comment est-ce que j’arrive à me repérer en pleine nature ? En général, j’ai toujours une ou plusieurs cartes. Elles me permettent d’appréhender l’espace dans lequel je me trouve. Ensuite, j’utilise souvent le relief pour m’orienter. Par exemple, dans le parc national de North Cascades (Etat de Washington), je devais me rendre dans la propriété d’une personne que je devais interviewer. Je savais qu’elle habitait en aval de la vallée, à l’opposé d’une falaise, à proximité d’un ancien verger (cliquez sur la photo). J’ai donc suivi la rivière dans le même sens que l’écoulement puis j’ai bifurqué à un moment donné en direction de vieux pommiers plus ou moins alignés et je suis arrivée à destination. Le problème c’est que je ne suivais pas de sentier donc, au retour, je suis tombée nez à nez avec un serpent. Nous étions aussi surpris l’un que l’autre. Comme nous étions dans une zone où l’humus était très important, je savais que si je frappais le sol, les vibrations se propageraient rapidement et que le serpent filerait. J’étais à vélo, ou plutôt je marchais à côté du vélo à cause des racines, j’ai donc utilisé le vélo pour frapper le sol. Cela a été très efficace pour faire fuir le pauvre serpent.

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La nature peut ainsi parfois venir perturber votre itinéraire, vous obliger à changer vos plans. C’est cela aussi faire du terrain : gérer l’imprévu. Cela m’est arrivé plusieurs fois. Quand je faisais du terrain dans les Rocheuses, lors d'un trajet entre le parc national des Lacs Waterton (Alberta, Canada) et le parc national de Glacier (Montana, Etats-Unis), un incendie de grande ampleur a coupé la roue la plus directe (Going-To-The-Sun Road). J’ai dû faire un détour de plusieurs centaines de kilomètres pour revenir au Canada. J’avais bien des cartes mais comme il y a très peu de routes et que je devais « remonter » vers le nord en longeant les Rocheuses, ce n’était pas difficile de se repérer. Conséquence, j’ai bien failli tomber en panne d’essence… Heureusement que je suis tombée sur une station dans la réserve autochtone des Blackfeet !

Une autre fois, en Afrique du Sud, dans le parc national du Pilanesberg, la nature m’a encore une fois réservé quelques surprises. Il était tard et le parc allait fermer. Je voulais absolument faire un rapide crochet par une zone de falaises pour essayer de voir des guépards qui sortent plutôt le soir. Me voilà sur une piste à flanc de falaise et, au détour d’un virage, je tombe nez à nez avec un éléphant (cliquez sur la photo).

Je m’arrête pour voir s’il allait se déplacer. Rien. La piste était trop étroite pour que je le contourne et le relief trop abrupt pour que je fasse du « hors-piste » en voiture. J’ai donc fait ronfler le moteur et ai klaxonné pour essayer de le « réveiller ». Très mauvaise idée ! Il a commencé à battre des oreilles, à gratter le sol et a chargé. Je sais que les éléphants peuvent bluffer dans ce genre de situation mais je n’avais pas du tout envie de vérifier. Je l’avais dérangé, il était sur son territoire, c’était à moi de me retirer, et vite fait ! Je crois que je n’ai jamais fait une marche-arrière aussi vite de ma vie, avec un demi-tour en dérapage en 4ème vitesse, le tout avec un volant à droite (on roule à gauche en Afrique du Sud). La vitesse est limitée à 70 km/h dans le parc. Mais avec cet arrêt imprévu, j’étais en retard pour sortir du parc (il est fermé par des barrières la nuit et personne n’est autorisé à y demeurer après la fermeture). Je pense que s’il y avait eu des radars, j’aurais perdu tous mes points de permis. Je devais absolument sortir du parc. Heureusement, pas de zèbres ou de rhinos sur la route… A peine sortie du parc, j’ai presque écrasé un python qui traversait la route. Bref, j’ai vu de près un pachyderme, un gros serpent mais aucun guépard…

Bilan : je sais m’orienter sur le terrain grâce aux cartes, au relief, à la végétation, à quelques repères et à mon sens de l’orientation, difficile à expliquer. Mais je sais aussi que la nature peut venir perturber un itinéraire et vous obliger à improviser, à remettre votre « GPS mental » à zéro pour prendre un autre chemin pour arriver à destination. Ceci dit, je pense que sans carte, dans une zone résidentielle d’une ville nouvelle (maisons identiques, impasses en « raquette »…), dans une grotte comme celle décrite par Eric Gilli ou dans une forêt sans relief, je me perdrais sûrement !

Cette photo est extraite du film Edward aux mains d'argent

Février 2013